Molière, le plus grand dramaturge français
Qui était vraiment Jean-Baptiste Poquelin dit Molière ?
Le nom de Molière est connu dans le monde entier comme l’un des plus grands génies du théâtre. Mais derrière ce nom de scène se cache en réalité un certain Jean-Baptiste Poquelin, né à Paris en 1622 dans une famille de bourgeois aisés.
Son père Jean Poquelin était un riche tapissier, titulaire de la prestigieuse charge de « tapissier ordinaire du roi ». Le jeune Jean-Baptiste semblait donc promis à une carrière confortable dans l’artisanat et le commerce. Pourtant, très tôt, le futur Molière se passionne pour le théâtre. Après de solides études au collège de Clermont (aujourd’hui lycée Louis-le-Grand) où il apprend le latin et lit les comédies antiques de Plaute et Térence, il décide de renoncer au métier de son père pour devenir comédien.
En 1643, il fonde avec la famille Béjart « l’Illustre Théâtre », l’une des premières troupes de théâtre à s’établir à Paris en dehors des théâtres officiels. C’est à ce moment qu’il adopte le pseudonyme de Molière, peut-être en hommage à l’écrivain François de Molière d’Essertines assassiné en 1624.
Le mystère des origines du nom « Molière »
Les raisons exactes qui ont poussé Jean-Baptiste Poquelin à se rebaptiser « Molière » restent assez mystérieuses. Selon son premier biographe Grimarest en 1705, il n’aurait jamais voulu révéler pourquoi il avait choisi ce nom « plutôt qu’un autre ». Plusieurs hypothèses ont été avancées par les historiens :
Un hommage au danseur et musicien Louis de Mollier qu’il aurait fréquenté dans sa jeunesse
Une référence à un lieu-dit ou un village appelé « Molière », désignant une carrière de pierres meulières. Ces noms « champêtres » étaient en vogue chez les comédiens de l’époque.
Un clin d’oeil au romancier libertin François de Molière d’Essertines, dont l’oeuvre sulfureuse avait défrayé la chronique.
Quelle que soit la véritable explication, en adoptant ce nom de scène, Molière coupait symboliquement les ponts avec son milieu bourgeois d’origine pour embrasser une carrière aventureuse et incertaine.
Les débuts chaotiques de l' »Illustre Théâtre » 🎭
Malgré des débuts prometteurs, la troupe de l’Illustre Théâtre peine à s’imposer face à la concurrence des théâtres parisiens déjà installés comme l’Hôtel de Bourgogne. Criblé de dettes, Molière connaît même brièvement la prison en 1645. Il décide alors de quitter Paris avec le reste de sa troupe pour tenter sa chance en province.
Molière, un comédien nomade devenu directeur de troupe 🏰
12 ans à sillonner les routes de France
Pendant près de 12 ans, de 1646 à 1658, la troupe de Molière va parcourir les provinces du royaume, se produisant dans de nombreuses villes :
En Guyenne et Languedoc : Agen, Toulouse, Albi, Carcassonne, Pézenas
Dans la vallée du Rhône et le Dauphiné : Vienne, Avignon, Montpellier
En Bourgogne : Dijon
En Normandie : Rouen
Au gré des représentations et des protections obtenues auprès de grands seigneurs locaux, la troupe de Molière gagne peu à peu en réputation. En 1653, elle est prise sous le patronage du prince de Conti, gouverneur du Languedoc et cousin du roi Louis XIV.
Durant ces longues années en province, Molière fait l’apprentissage du métier de chef de troupe, gérant les voyages, l’intendance, le choix des pièces, tout en composant lui-même ses premières comédies inspirées de la « commedia dell’arte » italienne (L’Étourdi en 1655, Le Dépit amoureux en 1656).
Cette expérience nomade permet aussi à Molière d’aiguiser son sens de l’observation et son génie comique en étudiant les moeurs et les ridicules de ses contemporains, qu’il mettra en scène dans ses grandes comédies.
Le retour triomphal à Paris 🏟️
Fort du succès rencontré en province, Molière décide de retenter sa chance à Paris à l’automne 1658. Sa troupe, qui a obtenu la protection du frère du roi, Monsieur, se produit pour la première fois devant Louis XIV au Louvre le 24 octobre.
Le roi apprécie la représentation et accorde à la troupe de Molière la salle du théâtre du Petit-Bourbon, qu’elle partagera avec les comédiens italiens, dont le célèbre Tiberio Fiorilli dit Scaramouche qui aura une grande influence sur le jeu d’acteur de Molière.
C’est le début d’une irrésistible ascension pour Molière, qui va enchaîner les succès avec des petites comédies comme Les Précieuses ridicules (1659) et de grandes comédies en vers comme L’École des femmes (1662) qui révèlent son génie comique et sa capacité à brocarder les moeurs de son temps.
Devenu la coqueluche de la Cour et de la Ville, Molière est nommé responsable des divertissements royaux en 1664. Sa troupe reçoit même le titre envié de « Troupe du Roi » en 1665. Protégé par la faveur de Louis XIV, Molière est au sommet de sa gloire.
Molière, le maître incontesté de la comédie sous Louis XIV 👑
Dans les années 1660, devenu le fournisseur officiel des spectacles de la Cour, Molière se voit commander de nombreuses pièces pour divertir le roi et son entourage. C’est l’âge d’or des comédies-ballets, créées en collaboration avec les plus grands artistes de l’époque comme le compositeur Lully :
Les Plaisirs de l’île enchantée (1664)
L’Amour médecin (1665)
Le Bourgeois gentilhomme (1670)
Psyché (1671)
En parallèle, Molière continue d’écrire pour le public parisien des comédies qui vont marquer l’histoire du théâtre par leur audace et leur génie comique :
Le Misanthrope (1666)
L’Avare (1668)
Les Fourberies de Scapin (1671)
Les Femmes savantes (1672)
Un audacieux contempteur des vices de son temps
Dans ces grandes comédies de caractère, Molière brosse des portraits au vitriol des défauts et des ridicules de ses contemporains :
L’avarice outrancière d’Harpagon dans L’Avare
La vanité des bourgeois qui singent la noblesse comme Monsieur Jourdain
Les excès des « femmes savantes » et des faux intellectuels
L’hypocrisie des faux dévots comme Tartuffe
Par la profondeur de ses personnages, devenus des archétypes universels, et la force comique de son écriture, mêlant le trivial au sublime, Molière donne à la comédie ses lettres de noblesse face à la tragédie, genre noble par excellence.
Mais cette liberté de ton et cette audace lui valent de nombreux ennemis, notamment dans les milieux religieux, qui vont s’acharner contre lui.
Molière face à la cabale des dévots
Le plus célèbre exemple est la querelle du Tartuffe, qui a défrayé la chronique pendant près de 5 ans. Dans cette pièce, Molière s’attaque frontalement à l’imposture des « faux dévots », ces religieux hypocrites qui utilisent leur piété de façade pour servir leurs intérêts.
Représentée pour la première fois en mai 1664 à Versailles devant le roi, la pièce provoque un tel scandale qu’elle est interdite de représentation publique le lendemain par le roi sous la pression des dévots.
Malgré le soutien de Louis XIV, Molière doit batailler pendant 5 ans, récrivant plusieurs fois sa pièce, pour pouvoir enfin la jouer librement en 1669. Entre-temps, il aura dû affronter la vindicte des religieux, comme ce curé Pierre Roullé qui le traita de « démon habillé de chair » !
Une autre pièce de Molière, Dom Juan, suscita aussi un énorme scandale à sa création en 1665, en mettant en scène un libertin athée défiant toutes les valeurs de la société. Retirée de l’affiche après 15 représentations, elle ne sera rejouée qu’après la mort de Molière.
Ces violentes polémiques, si elles prouvent le génie sulfureux de Molière prompt à transgresser les interdits, ont sans doute précipité son déclin.
Molière, un homme tourmenté au destin tragique 😢
Les affres de la vie conjugale
La vie privée de Molière, à l’image de son oeuvre, fut loin d’être un long fleuve tranquille. En 1662, à 40 ans, il épouse Armande Béjart, de 20 ans sa cadette. Problème : la jeune femme est la soeur (ou peut-être même la fille ?) de Madeleine Béjart, ancienne maîtresse de Molière !
Cette union a suscité de nombreux ragots et pamphlets qui ont accusé Molière d’inceste. Le couple aura trois enfants, mais deux mourront en bas âge. Seule leur fille Esprit-Madeleine atteindra l’âge adulte.
Selon le témoignage de Grimarest, le ménage Molière-Béjart n’était guère heureux, entre les infidélités supposées de la jeune Armande et la jalousie maladive de son époux, dont la santé commence à décliner.
Quand Molière jouait le Malade imaginaire
À partir de 1666, Molière âgé d’à peine 44 ans est déjà un homme usé, souffrant de multiples maux : crises de toux, difficultés respiratoires, épuisement général. Il gardera cette « fluxion sur la poitrine », sans doute une tuberculose, jusqu’à la fin de sa vie.
Comédien avant tout, Molière refuse pourtant de quitter les planches. Malgré les avis de ses amis comme Boileau, il puise dans ses dernières forces pour continuer à jouer.
En 1673, il écrit sa dernière pièce, Le Malade imaginaire, où il ironise sur sa propre condition. Comme par défi, il interprète le rôle-titre d’Argan, bourgeois hypocondriaque obsédé par la médecine.
Dernière scène tragique et mort
Le 17 février 1673, lors de la 4ème représentation du Malade imaginaire, Molière est pris d’un malaise sur scène. Rentré chez lui au 40 rue de Richelieu, il meurt dans la soirée, entouré de deux religieuses. La légende veut qu’il ait prononcé les répliques d’Argan juste avant de s’éteindre.
L’Église refusant une sépulture chrétienne aux comédiens excommuniés, Molière est enterré de nuit, en présence de ses amis. Il faudra l’intervention de sa veuve Armande auprès du roi pour que l’archevêque de Paris accepte un enterrement discret de nuit au cimetière Saint-Joseph. Ses cendres seront transférées en 1817 au Père Lachaise.
Molière avait 51 ans. En à peine 15 ans, entre son retour triomphal à Paris en 1658 et sa mort prématurée, il aura révolutionné l’art de la comédie par des chefs-d’oeuvre absolus (L’École des femmes, Tartuffe, Dom Juan, Le Misanthrope, L’Avare…) restés inégalés depuis.
Le génie comique de Molière en 2 points ✍️
1. Un observateur lucide des caractères humains
Le premier génie de Molière est sa capacité à créer des personnages incarnant un type humain, au point que leur nom est devenu un nom commun :
Un « tartuffe » pour désigner un hypocrite
Un « harpagon » pour un avare
Un « don juan » pour un séducteur
Inspiré par les personnages types de la commedia dell’arte italienne (Arlequin, Scapin…), Molière sonde les profondeurs de la psychologie à travers des personnages devenus des archétypes immortels.
2. Un alchimiste des mots et du rire
L’autre force de Molière est sa virtuosité verbale, mêlant avec génie tous les registres, du plus grossier au plus raffiné, pour créer des répliques comiques d’une efficacité redoutable.
Maître des jeux de mots, des quiproquos, des apartés, du comique de répétition, Molière est un magicien du verbe qui joue de la langue française dans tous ses états.
Il manie aussi bien la farce pure (Les Fourberies de Scapin, Le Médecin malgré lui) que la haute comédie où le rire se teinte d’amertume (Le Misanthrope, L’Avare).