Michel Sardou : l’enfant de la balle devenu monument de la chanson française
Un destin tout tracé dans le music-hall
Michel Sardou, de son vrai nom Michael Charles Sardou, était prédestiné à une carrière dans le spectacle. Né le 26 janvier 1947 à Paris, il est le fils des célèbres comédiens Fernand Sardou et Jackie Sardou, et le petit-fils de l’acteur Valentin Sardou. Bercé dès son plus jeune âge par l’univers du théâtre et du music-hall, le petit Michel passe son enfance dans les coulisses, suivant ses parents en tournée.
Bien que peu attiré par les études, le jeune homme montre très tôt des prédispositions pour la scène. A 16 ans, il tente même de s’enfuir au Brésil avec un camarade pour monter un cabaret, avant d’être rattrapé in extremis par son père à l’aéroport. Comprenant que son fils n’est pas fait pour les bancs de l’école, Fernand Sardou l’engage alors comme serveur-artiste dans son établissement à Montmartre. C’est là que Michel Sardou fait ses premières armes, enchaînant parodies, sketchs et imitations devant le public.
Des débuts difficiles avant le succès
A 18 ans, le jeune homme se lance réellement dans la chanson. Il rencontre Michel Fugain et écrit avec lui son premier titre Le Madras. Cette chanson, interprétée par Sardou lors de son premier passage télé, ne rencontre pas le succès escompté. Les 45 tours suivants, bien que remarqués par la profession, ne décollent pas auprès du grand public. En 1967, le titre Les Ricains, hommage aux soldats américains engagés au Vietnam, est même censuré par le général de Gaulle. Cet épisode fait connaître Sardou mais les ventes peinent à décoller.
Lâché par sa maison de disques en 1969, le chanteur signe chez Tréma, label créé par Jacques Revaux et Régis Talar. C’est le début de l’ascension. En 1970, la chanson Les Bals populaires devient un tube. S’enchaînent alors les succès : Et mourir de plaisir, Le Rire du sergent, La Maladie d’amour, Le France… En quelques années, Michel Sardou s’impose comme un des chanteurs les plus populaires de France, remplissant les salles et trustant le haut des hit-parades.
Un artiste qui divise et qui ose
Mais le succès a son revers. Avec les années 70 arrive aussi la controverse. Par ses prises de position et les thèmes abordés dans ses chansons, Sardou déchaîne les passions et s’attire les foudres d’une partie de l’opinion. Jugé tour à tour macho, réac ou fasciste, il voit se former des comités anti-Sardou et essuie manifestations et menaces.
Parmi les chansons qui créent le scandale : Les Villes de solitude en 1973 avec ses paroles faisant l’apologie du viol aux yeux de certaines féministes, ou Le Temps des colonies en 1976 considéré par d’autres comme une ode à la colonisation. Mais c’est surtout Je suis pour, la même année, qui met le feu aux poudres. Ce texte sur la peine de mort, sortant peu après un infanticide qui a bouleversé la France, déchaîne la colère des détracteurs du chanteur. Sa tournée est émaillée d’incidents, jusqu’à l’annulation des derniers concerts.
Face à ces critiques, Michel Sardou ne se démonte pas et affirme son droit à la liberté d’expression. Il trouve des soutiens illustres chez des artistes pourtant classés à gauche comme Montand ou Reggiani. Et surtout, malgré les attaques, son public lui reste fidèle, continuant de le porter en tête des ventes. Après la tempête, il revient avec des chansons plus consensuelles comme La Java de Broadway ou En chantant, qui deviennent d’immenses tubes.
Un chanteur engagé et inclassable
Si les années 80 sont plus apaisées, Sardou n’en continue pas moins à s’engager et à bousculer dans ses textes, qu’il signe pour beaucoup. Pêle-mêle, Vladimir Ilitch en 1983 dénonce le communisme, Les Deux écoles en 1984 défend l’enseignement privé, Musulmanes en 1986 aborde la condition des femmes voilées, Le Bac G en 1992 épingle le diplôme comme “un bac au rabais”… A chaque fois ou presque, le chanteur créé la polémique, s’attirant notamment les foudres du ministre de l’Education nationale sur ce dernier titre.
Difficile pourtant de le ranger dans une case. Sardou rend aussi hommage à Lénine qu’il critique dans Vladimir Ilitch. Il chante autant les États-Unis (Les Ricains, La Java de Broadway, Chanteur de jazz) que la France (J’habite en France, Français). Taxé de macho, il écrit Être une femme pour défendre la cause féministe. Ce sont ces ambivalences et cette liberté de ton qui font sa singularité.
Son style musical, savant mélange de variété française et de touches pop ou disco, contribue aussi à son identité d’artiste à part. Compositeur et parolier hors pair, il signe une grande partie de son répertoire, avec l’aide de fidèles collaborateurs comme Jacques Revaux, Pierre Delanoë ou Didier Barbelivien. Sa voix puissante et son sens de la dramatisation font merveille sur des titres épiques comme Je vais t’aimer, Les Lacs du Connemara ou Être une femme.
Un monument toujours debout
Malgré toutes les critiques et les modes, Michel Sardou n’a jamais quitté le coeur de son public. Des années 70 à nos jours, il a traversé les décennies en tant que valeur sûre de la chanson française, alignant les disques de diamant, les tournées à guichets fermés et les récompenses musicales.
Quelques chiffres donnent une idée de sa popularité :
- Plus de 100 millions d’albums vendus, ce qui fait de lui un des plus gros vendeurs de disques hexagonaux
- 4 Victoires de la musique, dont celle de l’artiste interprète masculin en 1991
- Des records de fréquentation à Bercy, salle qu’il a remplie à 91 reprises
- Plus de 50 ans de carrière, des premiers cabarets jusqu’à sa tournée d’adieu La Dernière danse en 2017-2018
Au-delà des chiffres, Sardou a marqué des générations de Français avec ses chansons. On se souvient des slows langoureux sur La Maladie d’amour ou Je vais t’aimer, des soirées festives en chantant à tue-tête Être une femme ou En chantant. Le film La Famille Bélier en 2014, qui fait la part belle à son répertoire, l’a même fait découvrir aux plus jeunes. Peu d’artistes peuvent se targuer d’avoir une telle longévité et d’avoir touché un public aussi large, de 7 à 77 ans.
Celui qui avait aussi une passion pour le théâtre et la comédie a su tirer sa révérence à temps. Après un dernier tour de chant triomphal à 70 ans passés, il a raccroché le micro pour se consacrer aux planches. Mais il laisse derrière lui une œuvre inconsumable, qui a su parler à l’âme des Français. Par sa personnalité, son parcours, ses engagements et surtout ses chansons, Michel Sardou est entré au panthéon de la culture populaire française. Le “chanteur préféré des Français” a indéniablement sa place dans notre patrimoine. Car comme dit son titre Être une femme, “On n’oublie pas ces chansons-là”.