
Le rap français a engendré des artistes légendaires et des succès retentissants depuis ses débuts modestes dans les années 80. Des pionniers de l’old-school aux poids lourds de la new school, chaque génération de MCs a apporté son style, ses punchlines et son influence. Voici notre classement subjectif – mais solidement argumenté – des 100 meilleurs rappeurs français de tous les temps. Un classement qui mêle influence culturelle, impact sur l’industrie, longévité, style, notoriété, originalité, reconnaissance critique, héritage et popularité (ventes, streams, etc.). Attachez vos ceintures, on remonte le temps et on passe du micro d’argent aux records de streaming !
Points-clés du classement :

Oui, on commence notre top 100 avec un choix qui fera sourciller certains puristes. Manau, c’est le pari audacieux de mélanger la musique celtique avec du rap. En 1998, leur tube « La Tribu de Dana » explose tous les compteurs : plus d’un million d’exemplaires vendus et le rap breton envahit les ondes. Ironie de l’histoire, Manau décroche la toute première Victoire de la Musique catégorie rap en 1999 – au grand dam de groupes comme NTM ou IAM à l’époque. Bien que souvent considéré comme un groupe ovni et « commercial », Manau a prouvé que le rap pouvait se mêler à des sonorités inédites et conquérir le grand public. Un one-hit-wonder? En grande partie, oui. Mais cette Tribu de Dana reste un des plus gros succès populaires du rap français, et à ce titre, Manau mérite sa place (symbolique) en bas de ce classement.
Lionel D fait figure de légende pour initiés : il est tout simplement l’un des tout premiers rappeurs français. Au tournant des années 90, il anime avec Dee Nasty l’émission mythique « Deenastyle » sur Radio Nova, où il freestyle en direct et pose les bases d’un rap en français. Son maxi « Y’A Pas De Problème » (1990) est l’un des premiers disques de rap français pressés. Sans album studio, Lionel D n’a pas connu la gloire commerciale de ses successeurs – il a même fini sa vie dans la précarité, un triste reflet de l’époque pionnière. Mais son flow improvisé, sa verve engagée et son rôle de précurseur en font un incontournable dans l’histoire. Sans Lionel D ouvrant la voie sur les ondes, le rap made in France n’aurait peut-être pas émergé aussi vite. Respect éternel au « grand frère » du hip-hop hexagonal.
À la fin des années 90, le rap explose vraiment dans le grand public, et Ménélik fait partie de cette vague. Révélé aux côtés de MC Solaar (il signe sur le label de Solaar et fait un couplet remarqué sur « Bouge de là (remix) »), Ménélik se fait un nom avec son style funky et accessible. Son album « Phénoménélik » (1995) accouche du hit « Tout Baigne » et surtout du tube entêtant « Bye Bye » en 1997, qui tourne en boucle sur Skyrock et M6. Avec sa vibe festive, il montre qu’on peut faire du rap positif et dansant sans renier le hip-hop. Ménélik décroche même une Victoire de la Musique. Si la suite de sa carrière est plus discrète (il s’est retiré après un second album en 2000), il a marqué l’âge d’or du rap grand public français. Son sourire et ses refrains faciles à chanter ont initié beaucoup de jeunes aux sonorités rap à l’époque.
« Mais vous êtes fooous ?! » Cette phrase culte, on la doit à Benny B, rappeur belge francophone, et elle a déferlé sur l’Europe en 1990. Avec son DJ Daddy K, Benny B livre un rap dance accessible qui cartonne dans les boîtes et chez les ados. Le titre « Vous êtes fous ! » se vend à plus de 300 000 exemplaires et fait découvrir le rap à un très large public bien avant l’explosion commerciale en France. Certes, son style est jugé très grand public et peu « crédible » par la scène hardcore naissante – Benny B endosse malgré lui le rôle du rappeur aux textes légers, loin de la rue. Mais on ne peut lui enlever qu’il a popularisé le hip-hop francophone dès la fin des années 80, ouvrant la voie aux succès suivants. Preuve de son impact, à l’époque on l’invite sur tous les plateaux télé pour expliquer « c’est quoi le rap ». Benny B, avec son baggy et son gimmick, reste un symbole kitsch mais attachant des débuts du rap francophone.
« Respecte-toi, respecte les autres… » Ce refrain a tourné en boucle en 1995-1996 et a fait d’Alliance Ethnik un groupe phare du rap festif. Emmené par le MC Kamel et le DJ Crazy B, ce collectif multi-ethnique propose un hip-hop chaleureux, ultra-fonky, loin des clichés gangsta. Le single « Respect » devient un hit fédérateur, tout comme « Honesty & Jalousie ». Leur album Simple & Funky est certifié platine, une prouesse pour du rap à l’époque. Alliance Ethnik prouve qu’on peut faire danser et passer des messages positifs – un vent de fraîcheur dans un milieu parfois macho et dur. Bien sûr, les puristes leur reprochent un son trop propret, trop calibré radio. N’empêche qu’avec leur sens du groove, leurs samples de funk et leurs refrains entraînants, ils ont amené de nouveaux publics vers le rap français. Une alliance réussie entre hip-hop et variété, qui fait qu’on fredonne encore leurs refrains plus de 25 ans après.
Retour aux basiques rugueux avec le Ministère A.M.E.R – acronyme percutant pour « Action, Musique Et Rap ». Ce groupe du 95 (Sarcelles) a forgé le gangsta rap à la française au début des années 90. L’association de Passi et Stomy Bugsy accouche de titres chocs comme « Brigitte Femme de… » (aux paroles carrément incendiaires sur une certaine politicienne) ou « Sacrifice de Poulet » qui dénonce violemment les bavures policières. En 1995, leur album 95200 fait scandale et… les propulse sur le devant de la scène. Conséquence : un procès retentissant, des censures, mais aussi une aura de groupe culte pour une génération énervée. Le Ministère A.M.E.R a ouvert la voie à toute la vague rap hardcore et contestataire des années 90. Sans eux, pas de expression aussi libre dans le rap français. Le duo se séparera, chacun cartonnant de son côté (Passi avec « Je zappe et je mate », Stomy en solo et au cinéma), mais l’héritage du Ministère demeure : un rap dur, cru, reflet brut des quartiers, entré dans l’histoire.
Direction Marseille avec le 3ème Œil, duo formé par Boss One et Jo. Les compères sortent en 1999 l’album « Hier, Aujourd’hui, Demain », salué par la critique et adoré des fans de rap sudiste. Le morceau « La Vie de Rêve » devient un classique local, véritable carte postale sans fard du quotidien marseillais (il figure même sur la BO du film Comme un aimant). 3ème Œil bénéficie du parrainage de leurs aînés d’IAM – Imhotep produit plusieurs de leurs instrus – et s’inscrit dans la lignée du rap méditerranéen : gros accent, authenticité et sens de la formule imagée. Moins connu nationalement que leurs collègues de la Fonky Family, le tandem marseillais a tout de même laissé une empreinte durable. Après un deuxième album en 2002, la hype retombe et chacun part en solo, mais les fans n’ont pas oublié leurs rimes aiguisées. Pour beaucoup, 3ème Œil symbolise l’âge d’or du rap marseillais post-IAM.
Place à un peu de douceur musicale dans ce monde de brutes avec Hocus Pocus. Ce groupe nantais mené par le rappeur-producteur 20Syl a prouvé dans les années 2000 qu’on pouvait marier hip-hop et jazz avec élégance. Le titre « Smile » (2005) ou l’album « Place 54 » (2007) sont de petites perles, portées par des instruments live, des textes positifs et la technique de 20Syl au micro. Sur scène, Hocus Pocus joue avec de vrais musiciens : contrebasse, clavier, batterie, ce qui leur vaudra d’être nommés aux Victoires de la Musique – fait rare pour un groupe de rap à l’époque. 20Syl, champion du turntablism (il remportera plus tard le succès international avec C2C), impose un flow clair, sans vulgarité, privilégiant la technique et les bonnes vibrations. Hocus Pocus n’a jamais cherché le buzz ou la street-cred’, mais a conquis un public fidèle avide de hip-hop sophistiqué. Une belle parenthèse musicale qui a élargi la palette du rap français.
« J’emmerde… », on vous laissera compléter ! En 2003, MC Jean Gab’1 jette une bombe dans le game avec son track « J’t’emmerde », où il aligne en vrac une bonne partie des rappeurs français (de JoeyStarr à Diam’s en passant par Sniper) dans un diss track légendaire. Ancien gangster repenti, Jean Gab’1 avait la rage et l’a crachée sans filtre dans ce morceau au vitriol qui a mis tout le monde d’accord (ou en PLS). Ironie du sort, ce titre ravageur sera son seul vrai fait d’armes musical. Il sort bien un album derrière, mais restera à jamais « l’auteur du plus gros clash de l’histoire du rap FR ». Véritable coup de pied dans la fourmilière, MC Jean Gab’1 a rappelé avec fracas que le rap était aussi fait pour régler ses comptes au micro. Son franc-parler extrême et son charisme brut lui ont valu le statut de figure underground culte. Il n’a pas bâti de carrière sur la durée, mais cette intervention musclée lui assure une place à part dans le paysage du hip-hop hexagonal.
Fer de lance du rap conscient français, Rockin’ Squat est le leader du groupe Assassin. Dès la fin des années 80, ce fils d’acteur (il est le rejeton de Jean-Pierre Cassel et le demi-frère de Vincent Cassel) choisit la voie de la contestation sociale et politique sur fond de boom-bap épuré. Des titres comme « Note Mon Nom sur Ta Liste » (1991) ou « L’État Assassine » (1995) posent les bases d’un rap militant, anti-système, qui inspirera toute une génération d’MCs engagés. Squat a la réputation d’être intraitable sur ses principes : il refuse les compromis commerciaux, privilégie l’indépendance (le fameux label Assassin Productions) et prône l’éveil des consciences. S’il n’a jamais connu de tube grand public, son influence sur le mouvement hip-hop est immense. Toujours actif sur scène et au micro plus de 30 ans après, Rockin’ Squat reste l’une des voix les plus respectées du rap français underground. Son timbre reconnaissable et ses textes ciselés font de lui un pilier historique qu’on se doit d’honorer dans ce top.

Lord Kossity, l’homme grâce à qui le ragga dancehall s’est incrusté dans le rap français. Originaire de Martinique, il débarque sur la scène parisienne dans les années 90 et apporte son flow jamaïcain et sa voix grave. Sa carrière décolle en featuring : qui ne se souvient pas de son couplet torride sur « Ma Benz » de NTM en 1998 ? Ou de son refrain inoubliable « Oh no, ça ne se passe pas comme ça » aux côtés de JoeyStarr ? En solo, Kossity signe des hits clubs comme « Morenas » (1997) et « Sexy » (2005). Il réussit à populariser le patois antillais dans le rap hexagonal bien avant l’ère afro-trap. Certes, ses textes ne brillent pas par la conscience politique – il est plus dans la fête, les filles et la frime – mais son apport musical est indéniable. Avec son style dansant, Kossity a été un trait d’union entre la communauté antillaise et le rap français. Toujours prompt à enflammer les sound systems, il a gagné son titre de « Lord » du dancehall français.
Quand on parle de punchlines assassines et de crédibilité street, le nom de Mac Tyer revient forcément. Ancien membre du duo Tandem (avec Mac Kregor), ce poids lourd d’Aubervilliers s’est imposé dès le milieu des années 2000 comme l’une des plumes les plus tranchantes du rap de rue. Le « Général », comme il se surnomme, frappe fort avec Tandem sur l’album « C’est toujours pour ceux qui savent » (2005) – l’un des manifestes du rap de cité – puis en solo avec des morceaux comme « Patrimoine du ghetto ». Mac Tyer, c’est la voix rocailleuse du 93, le vécu imprimé dans chaque rime. S’il n’a jamais atteint des sommets de vente fous, il a gagné le respect de ses pairs et du public hip-hop. Des générations de rappeurs le citent en influence pour son authenticité et sa longévité. Encore actif dans les années 2020, il a su traverser les époques sans trahir son style. Un vétéran respecté, soldat infatigable du rap hardcore français, que l’on sous-estime trop souvent dans les classements.
Voici l’un des secrets les mieux gardés du rap français des années 2000. Salif, originaire de Boulogne-Billancourt (92), a démarré avec le crew IV My People de Kool Shen avant de tracer sa route en solo. Son album « Tous Ensemble – Chacun Pour Soi » (2007) est considéré par les initiés comme un petit chef-d’œuvre de rap de rue : une authenticité brute, des récits de vie sans fard et une plume plus fine qu’il n’y paraît. Des titres comme « Problèmes » ou « Caillera » témoignent de son vécu des quartiers de Boulogne avec une justesse qui prend aux tripes. Discret médiatiquement, Salif n’a jamais cherché le star-system et a fini par se retirer après quelques projets. Mais son impact sur la génération 2000’s est réel : il a prouvé qu’on pouvait faire du rap hardcore de qualité, introspectif et technique à la fois. Ceux qui l’ont écouté à l’époque parlent de lui avec un respect non feint. Salif, c’est l’archétype du talent sous-estimé, dont l’œuvre murmurée continue d’influencer la nouvelle vague.
Représentant de la toute nouvelle génération « post-2015 », Koba LaD s’est imposé en un éclair comme l’une des voix du trap made in France. Originaire d’Évry (91), il débarque ado avec une série de freestyles viraux sur YouTube où son énergie brute et son timbre éraillé font sensation. En 2018, son premier album « VII » déboule directement en haut des charts. Koba incarne le rap « d’jeune » de la fin des années 2010 : impertinent, mélodique tout en restant street, et ultra présent sur les réseaux sociaux (ses expressions comme « La C » ou « en bavant » deviennent des gimmicks). Chaque projet est certifié or ou platine, et sa boulimie de sons lui vaut un public fanatique. Certes, sa carrière a connu des turbulences (controverses et démêlés judiciaires qui ont freiné son élan récemment), mais son influence sur la scène trap/rap actuel reste majeure. Bon nombre de rookies suivent son sillage. À même pas 23 ans, Koba LaD a déjà laissé une empreinte et on espère qu’il rebondira pour confirmer tout le bien qu’on pense de lui.
Place à l’une des rares femmes de ce classement, et pas des moindres. Chilla incarne la relève féminine du rap francophone. Repérée dans des open mics lyonnais, elle tape dans l’œil de Bigflo & Oli qui la parrainent sur sa mixtape « Karma » (2017). Son style navigue entre rap technique et chant soul, ce qui lui permet d’aborder des thèmes variés avec finesse. Chilla se fait surtout connaître du grand public avec « #Balancetonporc » en 2018, un titre coup-de-poing dans le contexte du mouvement MeToo, où elle dénonce le sexisme et les violences faites aux femmes. Elle prouve qu’on peut allier message engagé et flow percutant. Son premier album « Mun » (2019) confirme son talent, porté par des morceaux introspectifs et des performances vocales impressionnantes. Dans un milieu encore très masculin, Chilla trace son sillon avec détermination, sans se laisser catégoriser. Elle a encore tout à prouver sur la durée, mais son aisance et sa maturité artistique la placent déjà comme une figure féminine incontournable du rap français actuel.
Dans l’équipée sauvage de Sexion d’Assaut, je demande le technicien de l’ombre : Lefa. Souvent éclipsé par les charismatiques Maître Gims et Black M au sein du collectif parisien, Lefa n’en est pas moins une pièce maîtresse. C’est simple, son couplet sur « Désolé » (le tube monumental de Sexion en 2010) a marqué les esprits par sa technique. Après une pause discrète, Lefa revient en force en solo à partir de 2015. Son style ? Un flow acrobatique, une plume imagée et une sincérité parfois touchante. L’album « Fame » (2020) le voit prendre des risques créatifs, tandis que « DMNR » (2022) affirme son identité artistique. Lefa ne cherche plus la lumière à tout prix, il l’a dit : « Je fais ma life en dehors des clashs et du buzz ». Mais les initiés reconnaissent son talent pur. En somme, Lefa c’est ce rappeur agile qui a su sortir de l’ombre des gros tubes de Sexion pour bâtir une discographie solide, gagnant le respect du milieu pour sa constance et son amour du micro.
Josman, c’est la success story de l’indé qui a conquis la nouvelle génération rap sans faire de bruit… ou plutôt si, en faisant beaucoup de bruit dans les écouteurs ! Originaire du Cher, installé en banlieue parisienne, il se fait remarquer en gagnant des concours de rap en ligne puis avec des EPs bien rodés. Son style planant et introspectif, sur des prods trap aux accents cloud, séduit vite un public jeune avide de nouveautés. En 2018, son premier album « J.O.$ » (comprenez Jos) sort en indé totale et connaît un succès critique et commercial (certifié or). Des morceaux comme « Loto » ou « V&V » montrent sa capacité à allier nonchalance et technique. Josman rappe ses doutes, ses rêves, la défonce et la galère avec une sincérité qui frappe juste. Il s’occupe de presque tout (écriture, parfois production, direction artistique) – un vrai artisan du rap. Son deuxième album « Split » en 2020 confirme sa place à part : ni rap de rue, ni pop urbaine calibrée, juste du Josman pur jus. Dans la nouvelle vague, il est assurément l’un des plus doués et cohérents.
Longtemps resté « futur grand » du rap sans reconnaissance mainstream, Dosseh a fini par percer avec brio. Le MC d’Orléans, petit frère du rappeur Pit Baccardi, a trimé pendant des années dans l’underground, sortant mixtapes sur mixtapes, ciselant ses punchlines dans l’ombre des studios. Son timbre grave et son écriture précise faisaient déjà l’unanimité chez les connaisseurs. En 2018, il frappe à la porte du succès grand public avec l’album « Vidalo$$A », certifié disque d’or, et surtout le banger « Habitué » qui tourne partout. Dosseh allie l’authenticité du rap de rue à un sens aiguisé de la formule, le tout sans se départir d’une certaine sagesse dans le propos. Il a aussi exploré d’autres arts (il joue un rôle marquant dans le film La Pièce). Si son ascension a été plus lente que d’autres, elle n’en est que plus méritoire. Aujourd’hui, Dosseh est respecté autant par le public que par ses pairs, qui saluent sa persévérance et son niveau lyrical. Une plume affûtée qui a (enfin) obtenu la lumière qu’elle mérite.
Impossible de passer à côté de la déferlante belge des années 2015-2020, et Roméo Elvis en est l’un des chefs de file. Grand frère de la chanteuse Angèle, ce grand gaillard bruxellois s’est imposé avec son style nonchalant et sa voix grave si particulière. En duo avec le producteur Le Motel, il sort les projets « Morale » (1 et 2) qui le propulsent sur le devant de la scène francophone. Le titre « Bruxelles arrive », aux côtés de son pote Caballero, devient un hymne. Roméo Elvis, c’est l’esprit frondeur et un brin décalé de la Belgique au service d’un rap créatif, parfois introspectif, parfois absurde. Son album « Chocolat » (2019) cartonne et il remplit les salles de concert grâce à son énergie communicative. Certes, son image a été ternie par une affaire de comportement déplacé ayant conduit à des excuses publiques en 2020 – ce qui a freiné son élan. Il n’empêche que musicalement, Roméo a laissé une empreinte avec ses flows désinvoltes et son charisme scénique. Qu’on l’adore ou qu’on le critique, il restera comme l’un des visages marquants de la vague rap belge qui a déferlé sur la francophonie.
À seulement 25 ans, Zola s’est déjà fait une belle place dans le rap français actuel. Originaire d’Évry (91) comme Koba LaD (d’ailleurs proche de lui dans la vie), Zola incarne à merveille la nouvelle génération trap 2.0. Révélé en 2018 avec son banger « California Girl » et des freestyles « Zolavirus » sur YouTube, il se distingue par son sens inné de la mélodie entêtante et des gimmicks efficaces. Son premier album « Cicatrices » (2019) est certifié platine, porté par des tubes comme « Extasy ». Zola rappe l’argent, les soirées, la vie de jeune avec une insouciance assumée et un groove quasi-tropical par moments. S’il ne prétend pas révolutionner les thèmes, il le fait avec une telle aisance qu’on se laisse prendre. Son second album « Survie » (2020) confirme la hype. Zola, c’est un peu le soleil d’Évry : un rappeur qui apporte de la chaleur dans la trap sombre. Avec déjà plusieurs disques d’or au compteur, il représente le présent et l’avenir proche du rap FR. Le meilleur est sans doute à venir pour lui.
Dans l’ombre de Booba, il y avait Ali. Cofondateur du groupe Lunatic, Ali a marqué les annales du rap en posant sa voix douce et son verbe affûté sur l’album culte « Mauvais Œil » (2000). Cet album, considéré comme l’un des meilleurs albums de rap français de l’histoire, doit autant à l’aura de Booba qu’au charisme tranquille d’Ali. Ses couplets pleins de sagesse urbaine et de références spirituelles contrastent avec la dureté du bitume. Après la séparation du duo, Ali a choisi une trajectoire très différente de son ex-acolyte : loin des clashs et de la hype, il s’est fait discret, sortant des projets confidentiels empreints de religiosité (il s’est converti à l’islam et cela imprègne sa musique). Forcément, son impact commercial est resté limité en solo. Mais auprès des puristes, Ali demeure une légende. Il est la preuve qu’on peut marquer l’histoire sur un seul album fondateur. Son aura mystérieuse continue de fasciner – Lunatic, c’était une lune à deux faces, et l’une d’elles brillait d’une lumière humble mais essentielle.
Figure charnière entre deux époques, Pit Baccardi a porté plusieurs casquettes avec succès. Ce Camerounais d’origine débarque dans le rap français via le légendaire collectif Time Bomb (Oxmo Puccino, X-Men…). Son flow technique et son timbre imposant se font remarquer sur des freestyles mythiques. En 1999, il sort un album solo éponyme contenant le tube « Si loin de toi » (en duo avec son frère Dokou) et « On l’aime à mort » avec Ärsenik. Pit excelle autant dans les morceaux hardcore que dans les titres plus grand public. Mais son influence ne s’arrête pas au micro : il cofonde le label Première Classe, qui sortira des compilations cultes et lancera des carrières (Diam’s, Booba en solo). Plus tard, Pit Baccardi retournera au pays et deviendra un acteur majeur de la production musicale en Afrique centrale, tout en continuant à rapper épisodiquement. On lui doit d’avoir flairé et encadré de nombreux talents. Respecté pour sa polyvalence, Pit Baccardi symbolise cette génération de rappeurs-entrepreneurs qui ont structuré l’industrie rap. Un « parrain » discret, mais ô combien influent.
Ils n’accordent quasiment aucune interview, ne cherchent pas le buzz médiatique, et pourtant leurs chiffres d’écoute donnent le tournis. Djadja & Dinaz, duo originaire de Meaux (77), sont les enfants terribles du streaming français. Depuis 2016, chaque projet qu’ils sortent affole les compteurs : plusieurs disques de platine et diamant, et des milliards de streams cumulés. Leur secret ? Une recette trap-mélodique autotunée, des refrains qui restent en tête et des thèmes assez universels (la galère, le quartier, les potes, les peines de cœur). Certes, leur musique est parfois jugée redondante et peu novatrice par les critiques. Mais on ne peut nier leur lien fort avec le public jeune : ils parlent la langue de la « street 2.0 ». Des titres comme « J’fais mes affaires » ou « Bénéfice » sont devenus des hymnes pour une partie de la jeunesse. Invisibles dans les médias classiques, Djadja & Dinaz font mentir ceux qui pensent qu’il faut passer à la télé pour remplir des Zénith. Leur succès en indé illustre la puissance d’Internet et des réseaux dans le rap actuel. À leur manière, ils écrivent l’histoire contemporaine du rap de chez nous.
Fondateur, pilier, Manu Key est l’une des pierres angulaires du collectif Mafia K’1 Fry. Moins connu du grand public que son compère Kery James, il n’en demeure pas moins une légende du 94. Présent dès les débuts du mouvement, Manu Key a posé sa voix grave et son attitude de grand frère sur d’innombrables morceaux de la Mafia K’1 Fry (collectif comprenant aussi Rohff, 113, etc.). Son album solo « Manu Key » en 2000 (avec le morceau marquant « Les gens parlent d’argent ») n’a pas eu un succès fou, mais il a le mérite d’exister. Surtout, Manu Key a œuvré dans l’ombre en tant que chef d’orchestre du collectif : organisation, production, il a été un véritable moteur. Son couplet dans le classique « Pour ceux » (hymne de la Mafia K’1 Fry sorti en 2003) est gravé dans la roche. Respecté de tous les rappeurs de quartier, il a aussi tissé des liens entre différentes générations du rap francilien. Peu en lumière, toujours efficace, Manu Key c’est l’homme de l’ombre sans qui le « freestyle de la Hyène » n’aurait pas eu la même saveur.
Népal, alias KLM, était de ces artistes qu’on qualifie de « complet » : rappeur, beatmaker, esprit créatif à part… et mystérieux, puisqu’il restait toujours masqué ou caché sous une capuche. Membre du collectif L’Entourage (comme Nekfeu, Alpha Wann) et du duo 2Fingz, il a marqué la seconde moitié des années 2010 par ses projets solo empreints de mélancolie planante. Des EP comme « 444 Nuits » ou « KKSHISENSE8 » ont séduit les amateurs de son lo-fi et introspectif. Népal avait l’art des prods feutrées et des lyrics lucides. Tragiquement, il nous quitte fin 2019 à seulement 24 ans, avant même la sortie de son premier album. Cet album posthume, « Adios Bahamas » (2020), est acclamé : on y découvre un jeune homme au cœur lourd, qui abordait la dépression, le doute, avec une plume fine. Sa disparition a ému toute la scène rap française, qui voyait en lui un espoir majeur. Aujourd’hui encore, son empreinte demeure : on écoute Népal comme on feuillette le journal intime d’un poète moderne. Un talent fauché trop tôt, dont l’aura posthume ne fait que grandir.
« À l’heure où la France voulait tuer le rap », La Rumeur grondait. Collectif emblématique du rap engagé des années 2000, La Rumeur – mené par Ekoué et Hamé – a incarné l’insoumission totale. Le groupe s’est fait connaître autant par ses morceaux coup de poing (comme « Le Franc-tireur » ou « La Rumeur » sur l’album L’Ombre sur la Mesure en 2002) que par son affaire judiciaire face au ministère de l’Intérieur : poursuivis pour des écrits dénonçant les violences policières, les membres de La Rumeur mènent un combat juridique de 8 ans qu’ils finiront par gagner, au nom de la liberté d’expression. Musicalement, leur style est sombre, littéraire, sans concession, loin des refrains accrocheurs – et c’est assumé. La Rumeur a une base de fans ultra fidèle, et une influence profonde sur le rap contestataire. Ils ont inspiré toute une génération d’MCs à prendre la plume comme une arme politique. Toujours actif (quelques albums sporadiques, des livres, des films), le crew porte bien son nom : une rumeur persistante d’insoumission qui hante le rap français depuis 20 ans.
Le rap belge a le vent en poupe, et Caballero & JeanJass en sont les fiers ambassadeurs du côté décalé. Ces deux compères de Bruxelles forment un duo explosif depuis 2016, enchaînant les projets « Double Hélice » (1, 2, 3) qui allient humour potache, références geek et grosses performances techniques. Leur alchimie est évidente : Caba, le chauve à la diction impeccable et aux rimes multisyllabiques, complète JJ, le grand barbu à l’attitude nonchalante et aux fulgurances absurdes. Ils ont su conquérir le public français avec des titres comme « Sur Mon Nom » ou « Vieux », et en multipliant les featurings avec la scène hexagonale. Mais c’est peut-être via leur série TV « High & Fines Herbes » (où ils invitent d’autres rappeurs à fumer et cuisiner) qu’ils sont devenus de véritables pop stars du rap franco-belge ! Caballero & JeanJass apportent une bouffée d’air frais : adeptes de second degré, très productifs, ils montrent qu’on peut percer sans se prendre trop au sérieux. Un cocktail de bonne humeur et de skills, qui a toute sa place dans le paysage actuel.
Attention groupe culte ! Les X-Men (parfois appelés Les X ou X-Men sans trait d’union pour éviter les soucis avec Marvel) sont une pierre angulaire de l’underground 90’s. Composé des MCs Ill (Ill des X) et Cassidy, le duo issu du crew Time Bomb a mis tout le monde d’accord en 1997 avec l’EP « Retour aux Pyramides ». Leur titre « J’attaque du mic » est d’une virtuosité lyricale hallucinante pour l’époque – encore aujourd’hui, on reste impressionné par la technique et le flow mitraillette d’Ill. Bien qu’ils n’aient sorti qu’un album en 2000 (« Jeunes, Coupables et Libres »), les X-Men ont influencé une flopée de rappeurs par leur exigence technique et leur identité à part (univers de science-fiction, imagerie mystique de l’Égypte ancienne, etc.). Après leur séparation, Cassidy et Ill ont continué en solo avec moins de retentissement, mais leur légende était scellée. Les X-Men restent le symbole d’une époque où chaque freestyle radio était un événement. Dans la mythologie du rap français, ils sont ces mutants surdoués qui n’ont pas eu la carrière grand public qu’ils méritaient, mais dont l’aura reste intacte auprès des puristes.
À ne pas confondre avec Kalash Criminel, Kalash tout court est lui aussi un artiste des Caraïbes qui a conquis l’Hexagone. Originaire de Martinique, Kalash navigue entre reggae dancehall et trap urbaine avec une aisance déconcertante. Pendant des années, il cartonne dans son île et en Guadeloupe, avant de percer en métropole grâce à un certain… Booba. Leur duo « Rouge et Bleu » en 2015 attire l’attention, puis surtout « Mwaka Moon » en 2017 : cet énorme hit aux sonorités afro-trap (feat. Damso) devient un tube national, certifié single de diamant, qui fait danser de Paris à Fort-de-France. Kalash, c’est cette voix tantôt chantée, tantôt rappée, sensuelle mais tranchante quand il faut. Il alterne morceaux conscients sur la réalité antillaise, et bangers festifs. Son album « Diamond Rock » (2019) consolide son succès en France. Avec plusieurs disques d’or à son actif, Kalash a réussi le pari de transcender les frontières. Il apporte une vibe différente dans ce classement, un mélange de cultures qui enrichit le rap français. Le tout avec une authenticité qui lui vaut le respect des publics rap comme reggae.
Georgio, c’est un peu le « rappeur sympa » par excellence – et ce n’est pas péjoratif. Venu du 18e arrondissement de Paris, il s’est fait connaître en 2012-2013 via des EP autoproduits et énormément de concerts qui lui ont forgé une fanbase solide. Georgio se distingue par un style à cheval entre rap et poésie urbaine. Son premier album « Bleu Noir » (2015) pose l’ambiance : des réflexions introspectives sur la vie, l’amour, l’ennui, avec une plume sensible. Il gagne le prix du public aux Inouïs du Printemps de Bourges, preuve qu’il touche au-delà du cercle hip-hop. L’album suivant « Héra » (2016) est certifié or, confirmant son statut. Georgio ne joue pas le caïd – il parle de ses doutes, de ses émotions, ce qui le rend attachant. Attention, il sait aussi kicker avec hargne quand il veut, mais sa marque de fabrique reste cette sincérité et cette accessibilité. Il a collaboré avec des artistes variés (de Vald à Indochine, c’est dire son ouverture). En 2021, il sort « Sacré », poursuivant son chemin singulier. Ni hardcore ni pop star, Georgio occupe une place à part, celle du grand frère introspectif du rap français.
Un bon rappeur peut parfois se cacher derrière un personnage de fiction. Hatik en est la preuve : beaucoup l’ont découvert via son rôle d’Apash dans la série TV Validé, succès de 2020 sur Canal+. Mais avant d’être acteur, Hatik est un rappeur bosseur originaire des Yvelines (78). Ses mixtapes « Chaise pliante » vol.1 et 2 (2018-2019) le posent comme un talent prometteur, avec un style trap-mélancolique très actuel. Le morceau « Angela » – malicieusement samplé du tube RnB des Saïan Supa Crew – devient un tube estival en 2020, propulsant Hatik dans une autre dimension. Son premier album « Vague à l’âme » (2021) dévoile un artiste capable de bangers ego-trip comme de titres plus personnels sur ses galères d’hier et sa nouvelle vie. Hatik rappe avec le cœur, parfois de façon brute, parfois autotunée, reflétant bien la génération « Netflix & playlists ». Son parcours est atypique (série, musique, va-et-vient entre les deux), mais il capitalise dessus pour toucher un large public. Désormais, on l’attend au tournant pour confirmer sur la durée. Mais nul doute qu’avec sa détermination et sa gueule charismatique, Hatik a tout pour rester dans le paysage.
Venu du 94 (Villeneuve-Saint-Georges), Oboy s’est imposé sans faire de vagues… avant de provoquer un raz-de-marée avec un seul morceau. Depuis 2018, il gravit les échelons de la nouvelle scène rap grâce à son style trap vaporeux et nonchalant, hérité de la vague US « SoundCloud ». Sa voix traînante et grave pose un flow minimaliste sur des prods souvent sombres – un cocktail qui séduit rapidement un public adepte de vibes plus que de grosses punchlines. Ses premiers projets « Olyside » et « Southside » font de lui un espoir à suivre. Mais c’est en 2021 qu’Oboy explose littéralement : son titre « TDB » (pour « Tout Doux Bébé ») devient un hit monstrueux sur TikTok puis partout, avec son refrain sensuel et entêtant. Le morceau est certifié diamant, l’album « No Crari » file en tête des charts. Ironiquement, ce titre léger n’est pas forcément représentatif de l’univers musical d’Oboy, plus mélancolique d’habitude – mais il lui a apporté une visibilité énorme. Désormais, le challenge pour lui est de prouver qu’il n’est pas qu’un phénomène d’un été. Au vu de son talent pour créer des ambiances uniques, il a toutes les cartes en main pour durer.
Révélée au grand public par Booba, Shay s’est imposée comme l’une des rares rappeuses mainstream de la décennie 2010. Cette Bruxelloise commence très jeune – on l’entend sur un remix de Booba dès 2011 – mais c’est en 2016 que tout s’accélère, quand son mentor la signe sur son label. Son titre « PMW » (Pour Ma Whine) déboule avec un clip clinquant et un refrain sensuel à souhait : Shay assume pleinement son attitude de bad girl et ça plaît. Son premier album « Jolie Garce » sort fin 2016, bourré d’egotrip, de swag et de mélodies accrocheuses. On la compare rapidement à Nicki Minaj pour le cocktail glamour/punchlines. Après une brouille avec Booba et une période de retrait, Shay revient en indépendante avec l’album « Antidote » (2019), qui la voit explorer des sons plus variés et personnels (le très beau « Notifie »). Sa fanbase est solide, et elle réussit à pérenniser sa carrière au-delà du simple coup d’éclat initial. Dans un paysage qui manque de voix féminines, Shay apporte ce mélange de provocation, de style et de vulnérabilité parfois, qui la rend unique. Elle prouve qu’on peut être une femme de caractère et tenir le haut des charts rap en francophonie.
L’ascension de Moha La Squale a été fulgurante, à l’image d’un de ses sprints pour fuir la police qu’il raconte si bien. En 2017, ce jeune du quartier de la Banane (Paris 20e) inonde Facebook de freestyles hebdomadaires filmés au smartphone. Son gimmick « La Squale, La Squale » et ses histoires de cavale, d’amour et de taspé séduisent instantanément. En quelques mois, Moha devient la coqueluche du rap français : il signe en major, son premier album « Bendero » (2018) est certifié platine. Son style tranche avec la trap ambiante : pas d’autotune, des textes racontés à la première personne comme un roman de rue, un flow qui débite à toute berzingue – on le compare même à un certain JoeyStarr pour l’énergie brute. Moha La Squale représente un retour du storytelling de rue, cru et sincère. Hélas, sa trajectoire s’est enrayée aussi vite qu’elle a explosé : problèmes judiciaires et accusations graves ont mis un coup d’arrêt à sa carrière dès 2020. Aujourd’hui, l’avenir artistique de La Squale est incertain. Mais pendant ce court laps de temps, il a rallumé la flamme du rap « à l’ancienne » dans le cœur du public, et rien que pour ça, son nom mérite d’être cité.
Dans la catégorie « rappeur préféré de tes rappeurs préférés », Niro se pose là. Ce MC originaire de Blois (41) s’est imposé dès le début des années 2010 comme l’une des plumes les plus affûtées du rap de rue. Repéré par Booba puis signé sur le label Street Lourd, Niro se fait remarquer avec des morceaux comme « 70 Kg » ou « J’pense à toi » où il allie honnêteté brutale et technique imparable. Son premier album « Paraplégique » (2012) est salué par la critique et certifié or, il enchaîne ensuite les projets solides (Reeducated, Si je me souviens, etc.). Niro, c’est le gars qui ne déçoit jamais sa base. Pas forcément de tube mainstream à son actif, mais une constance et une crédibilité à toute épreuve. Il a ce don pour raconter la galère et les dilemmes de la rue avec une lucidité touchante. Dans un couplet de Niro, chaque mot pèse. Aujourd’hui, il a monté son label Ambition et continue de sortir des albums respectés (comme « Sale Môme » en 2021). Sans faire de bruit, Niro a construit l’une des discographies les plus solides du rap français contemporain. Un patron discret, mais un patron quand même.
« Wesh alors, mets-toi à l’aise… » Difficulté : rapper en cavale. Défi brillamment relevé par Mister You au tournant des années 2010. Originaire de Belleville à Paris, Yougataga se forge d’abord une solide réputation dans l’underground. Mais c’est en 2009 que son nom explose : recherché par la police, il sort la mixtape « Arrête You Si Tu Peux » avec un morceau phare, « Mets-toi à l’aise », enregistré alors qu’il est fugitif ! Le buzz est énorme et sa légende est lancée. Arrêté puis emprisonné, Mister You ressort en 2010 et capitalise direct en sortant l’album « Dans Ma Grotte » (disque d’or). Son style mêle argot parisien, humour de voyou et expressions arabes, sur des instrus souvent dansantes. Il incarne un titi parisien version hall d’immeuble, attachant et roublard. Par la suite, sa hype retombe un peu, mais il reste actif (albums Le Grand Méchant You, HLM 2…) et est respecté comme l’un des visages du rap parisien des années 2010. Mister You aura prouvé qu’une cavale peut booster une carrière – et surtout, que son charisme naturel suffit à faire hocher la tête du public.
« Il est tarpin chanmé ce keuss ! » La formule est de Heuss L’enfoiré lui-même. Originaire de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois (93), Heuss a fait une entrée fracassante dans le game en 2019 avec sa gouaille hors du commun. Repéré par Sofiane qui le signe sur son label Affranchis, Heuss se distingue sur des feats (avec Vald, avec Fianso) puis explose en solo avec le banger « Khapta ». Ce hit festif aux influences orientales devient l’hymne des soirées, et son gimmick « en Vé-ga-ta » résonne partout. Son premier album « En Esprit » (2019) est certifié platine. Heuss, c’est la personnalité haute en couleur par excellence : un vrai ambianceur, capable de sortir des expressions d’argot improbables qui font mouche à chaque fois. Musicalement, il navigue entre trap, raï’n’b et sons de chicha, assumant son côté « enfoiré » bon vivant. Certains lui reprochent un manque de fond, mais lui répond qu’il est là pour faire plaisir et se faire plaisir. Et sur ce terrain, il gagne : chacun de ses singles met l’ambiance. Avec un second album en route, Heuss s’inscrit comme le trublion incontournable du rap français actuel, celui qui ramène la bonne humeur sur une trap beat.
Icône de l’underground dur, Casey est sans conteste l’une des meilleures plumes que le rap français ait portées. Originaire de la Martinique mais ayant grandi en Seine-Saint-Denis, elle débarque dans le game dans les années 2000 avec une rage viscérale et un talent d’écriture au scalpel. Son premier album « Tragédie d’une trajectoire » (2006) fait l’effet d’un coup de poing : Casey y vomit sa colère contre le racisme, les violences sociales, la Françafrique, avec des rimes coup-de-poing d’une précision chirurgicale. Elle enfonce le clou avec « Libérez la bête » (2010), confirmant son statut d’OVNI inclassable, entre punk et rap. Car sur scène, Casey est tout sauf « gentille » : regard sombre, verbe haut, c’est une combattante. Elle a également brillé au sein du collectif Asocial Club et du projet rock Noir Boy George. Évidemment, Casey n’a jamais eu droit aux plateaux télé et aux gros contrats, son rap trop hardcore pour les radios la cantonnant à l’ombre. Mais dans cette ombre, elle est reine. Son influence sur la scène rap engagée est immense. Et le fait qu’elle soit une femme a ouvert la voie à d’autres MCs féminines extrêmes. Casey, c’est la flamme rebelle qui ne s’éteindra pas.
Vétéran parmi les vétérans, Fabe est un des premiers lyricistes conscients de l’histoire du rap français. Ce Parisien, membre éminent du collectif Scred Connexion, s’est illustré dès le milieu des années 90 par sa plume tranchante et pleine de sagacité. Son second album « Détournement de Son » (1998) est un classique du genre : on y retrouve le morceau « L’Impertinent », véritable manifeste de l’insolence intelligente de Fabe, ou encore « Ça fait partie de mon passé ». À l’époque, Fabe incarne un rap sans artifice, proche des valeurs originelles du hip-hop : il rappe son quotidien de « petit rebeu » (comme il dit) en banlieue parisienne, ses galères, ses espoirs, et tape sur les politiques et les injustices sans détour. En 2000, coup de théâtre : au sommet de son art, il décide de quitter brutalement la musique, par conviction religieuse, laissant orphelins de nombreux fans. Ce départ soudain n’a fait que renforcer la légende de Fabe. Ses textes continuent d’être cités en référence, et la Scred Connexion propage encore son esprit. Fabe est l’exemple même du rappeur intègre, qui a choisi de rester « Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction » – sa devise gravée dans le marbre du rap français.
Impossible de ne pas citer au moins un membre de Sniper dans ce top, tant ce groupe a marqué le début des années 2000. Tunisiano en était la plume acérée. Originaire de Deuil-la-Barre (95) et d’ascendance tunisienne (d’où son blaze), il s’est fait connaître aux côtés d’Aketo et Blacko par des textes tranchants et une énergie féroce. Sur l’album classique « Gravé dans la roche » (2003), c’est lui qui lâche nombre de punchlines choc. Son couplet dans « La France » – morceau qui vaudra à Sniper d’énormes polémiques politiques – est resté dans les annales (« Pour mission exterminer les ministres et les skinheads »…). En 2008, après la mise en sommeil de Sniper, il tente sa chance en solo avec l’album « Le regard des gens », contenant le très personnel « Je porte plainte ». Si le succès mainstream n’est pas aussi fort qu’en groupe, Tunisiano garde sa fanbase grâce à sa sincérité et son écriture tranchante. Sniper se reformera plus tard brièvement, prouvant que leurs classiques n’ont pas pris une ride. Aujourd’hui, Tunisiano demeure respecté comme l’un des meilleurs paroliers de sa génération, capable de mêler l’engagement et l’égotrip avec adresse.
En l’espace de deux ans, Gazo est devenu le phénomène qui a redéfini la drill à la française. Ce jeune du 93 (originaire de Châtelet-en-Brie, grandi à Saint-Denis) a surgi en 2020 avec sa série de freestyles « Drill FR » où il adaptait la drill britannique à la sauce locale. Sa voix rauque, ses ad-libs (« RRrah ! » retentissant) et son univers sombre accrochent direct. Le single « Ha » puis sa collaboration avec Freeze Corleone sur « Drill FR 4 » le propulsent en haut des tendances YouTube. En 2021, son premier album « KMT » débarque et confirme son statut de leader de la drill francophone : double disque de platine, des hits comme « Haine&Sex » ou « Daddy Chocolat ». Gazo a même tapé dans l’œil de stars internationales, posant avec UK drillos (M1llionz) ou des artistes afro-caribéens. Son style cru, inspiré de Chicago et Londres, a converti un large public en France. C’est simple, on entend désormais des sonorités drill partout, popularisées par Gazo. En 2022, son feat « Die » avec Ninho tourne en boucle. À 28 ans, avec un deuxième album dans les bacs (« Drill FR », 2022), Gazo règne sur un sous-genre qu’il a amené au grand jour. Une ascension éclair pour le nouveau « prince de la drill » française.
« On fait le bilan, calmement… » Ces paroles ont marqué les années 2000. Elles sont signées Nèg’Marrons, duo composé de Jacky Brown et Ben-J, fiers représentants du Secteur Ä (collectif des rappeurs du 9.3 mené par Stomy & Passi). Maîtres dans l’art de mélanger le rap et le reggae-ragga, les Nèg’Marrons cartonnent dès 1997 avec « La monnaie », puis en 2000 avec l’énorme tube « Le Bilan » où Jacky et Ben-J dressent, en chantonnant, l’état des lieux amer de l’Afrique et des Antilles 40 ans après les indépendances. Ce titre transgénérationnel finit au générique d’une célèbre émission TV de société – preuve de son impact bien au-delà du rap. Les Nèg’Marrons apportaient des refrains ensoleillés et du conscious dans un écrin accessible. Si leur succès s’est tassé après le début des années 2000, ils restent des figures respectées, toujours actives en solo et en duo à l’occasion. On leur doit d’avoir ouvert la voix (et la voie) au mélange rap-ragga en France, avant l’ère actuelle de la pop urbaine métissée. Un héritage important, couronné par quelques classiques que tout le monde connaît, fan de rap ou non.
Derrière sa cagoule ornée d’un drapeau congolais, Kalash Criminel a imposé une image aussi puissante que sa voix. Originaire de Sevran (93), cet MC albinos – il a fait de sa particularité une force, se surnommant lui-même « le blanc le plus noir » – s’est d’abord fait connaître aux côtés de Kaaris sur le banger « Arrêt du Cœur » en 2016. Dès lors, le « sauvage » (autre de ses surnoms) déclenche une tornade à chaque nouveau track. Sa marque de fabrique : un rap ultra-violent, des textes sombres qui dépeignent la dureté du quartier, et des gimmicks inoubliables (« Eh ouais, la famille ! »). Son premier EP « R.A.S » confirme sa hype, et les albums « La fosse aux lions » (2018) puis « Sélection Naturelle » (2020) assoient son statut de patron de la drill hardcore en France. En feat, il sait aussi surprendre (sa collab avec Damso sur « But en or » montre une autre facette). Kalash Criminel n’est pas là pour bercer : il frappe, il assène des vérités crues sur les réalités socio-politiques, tout en restant fidèle à l’esprit du terre-terre. Il a su transformer ce qui pouvait être un handicap (sa différence physique) en signature visuelle, et imposer son style bestial dans le paysage. Un criminal au grand cœur, devenu indispensable pour les amateurs de rap lourd.
Casquette vissée sur la tête et « l’homme au Bob » gravé dans les esprits, Gradur est le porte-étendard du Nord qui a su faire trembler la sphère rap en 2015. Originaire de Roubaix (59) et ancien militaire, il débarque dans le rap comme un boulet de canon avec ses freestyles Sheguey diffusés sur les réseaux sociaux. Son style trap cru, inspiré de Chicago, et son argot mêlant français, lingala et verlan font mouche. Son premier album « L’Homme au Bob » (2015) est un raz-de-marée commercial (disque de platine) porté par des bangers comme « Terrasser ». Gradur apporte un vent de fraîcheur : un rap sans prise de tête, fédérateur, qui fait jump les foules. Après un deuxième opus en demi-teinte, il opère un comeback brillant en 2019 avec le tube « Ne reviens pas » feat. Heuss l’Enfoiré, qui tourne partout cet été-là. Gradur, c’est aussi l’un des rois des réseaux sociaux : il a su créer un lien de proximité avec sa communauté (le fameux « Sheguey Squad »). S’il est aujourd’hui un peu plus discret musicalement, son impact reste notable : il a ouvert la porte à la vague des rappeurs du Nord et prouvé que le 59 avait aussi son mot à dire. Toujours authentique, Gradur demeure une figure attachante du rap game.
Le « papa Lovni » du rap français, c’est lui. Alkpote, MC d’Evry (91) au verbe fleuri (et c’est un euphémisme), a bâti en quinze ans une réputation de roi de la punchline trash et du second degré provoc’. Membre à l’origine du collectif Unité 2 Feu avec Katana, il entame sa carrière solo dans les années 2000 et enchaîne les projets underground. Longtemps boudé par le grand public en raison de ses lyrics volontiers pornographiques, misogynes ou absurdes, Alkpote s’est forgé une fanbase ultra fidèle grâce à sa créativité lexicale unique. Des expressions comme « Empereur de la Crasserie » ou « les Marches de l’Empereur » (pour nommer ses freestyles) sont devenues cultes. Il a influencé toute une génération de rappeurs plus jeunes qui voient en lui un modèle de liberté d’expression totale. En 2019, surprise : Alkpote s’offre un tube quasi grand public avec « Bécane » aux côtés de Katerina (Stupeflip). Son album « Monument » la même année le montre au sommet de son art cynique. Délirant, choquant, souvent hilarant malgré lui, Alkpote est devenu une figure incontournable, preuve qu’à force de persévérance (et de gros mots), on peut passer de l’ombre à la lumière… tout en restant fidèle à son sale personnage.
On l’a connu ado espiègle dans le collectif L’Entourage, on le retrouve en jeune adulte cabossé par la vie dans ses albums solos : Guizmo est un rappeur à fleur de peau, dont la sincérité a touché beaucoup d’auditeurs. Originaire de Villeneuve-la-Garenne (92), il s’est fait remarquer dans les Rap Contenders (battle a cappella) avant de rejoindre Nekfeu, Alpha Wann et consorts au sein de L’Entourage. Très vite, sa carrière solo prend le pas : dès 2011, à 20 ans à peine, il sort « Normal », le premier d’une longue série d’albums. Guizmo s’y raconte sans filtre, évoquant ses addictions (l’alcool, notamment), ses peines de cœur, ses regrets, avec un flow nonchalant et une plume imagée souvent teintée de tristesse. Des morceaux comme « Attendez-moi » ou « Dans 10 ans » ont résonné fort chez les jeunes en galère. Musicalement, il navigue entre sons old school (il adore les instrus boom-bap 90’s) et tentations plus modernes. Sa productivité est impressionnante : plus de 8 albums en 10 ans. Tout n’est pas toujours au même niveau, mais Guizi La Banquise – comme il se surnomme – a su garder un lien émotionnel fort avec son public. Il représente cette génération paumée qui essaye de s’en sortir, et transforme ses blessures en musique. Un artiste brut, sans artifice, qui occupe une place à part dans le paysage rap.
Hugo TSR (pour « Triple Sur Rien ») est peut-être l’un des rappeurs les plus discrets et pourtant les plus respectés de l’underground parisien. Capuche sur la tête, regard fuyant, on pourrait le croiser dans le métro sans savoir que c’est un pilier du rap indé depuis deux décennies. Avec son crew TSR, Hugo écume les open-mics et sort ses premiers skeuds dès le début des années 2000. Son univers ? Le quotidien morose des quartiers populaires de Paris intra-muros, décrit avec un réalisme cru et une plume mélancolique. Son flow monocorde et posé rappelle l’âge d’or 90’s. En 2012, l’album « Fenêtre sur rue » devient un classique officieux : le titre « Ça rime à quoi » résonne comme un constat amer sur sa génération. Hugo TSR a la particularité de refuser toute médiatisation : pas d’interviews, pas de passages radio… Il entretient cette aura mystérieuse de rappeur anonyme. Et malgré cela, ses concerts affichent complet et ses disques se vendent honorablement, preuve de la fidélité de son public. Il a sorti en 2021 « Une vie et quelques », toujours aussi ancré dans le réel. Hugo, c’est le cœur battant du rap parisien non-commercial, un mec qui mène sa barque à l’ancienne et qui prouve que l’underground peut perdurer envers et contre tout.
Dinos (ex « Dinos Punchlinovic ») est l’un de ces rappeurs qui font mentir quiconque pense que la nouvelle génération manque de plume. Originaire de La Courneuve (93), il s’est d’abord distingué par son talent en battle et ses punchlines affûtées (d’où son pseudonyme initial). Mais au fil du temps, Dinos a mué en un artiste introspectif, capable de livrer des textes d’une grande finesse émotionnelle. Après des débuts prometteurs (un street album en 2013, des EP), il sort enfin son premier album « Imany » en 2018. C’est un bijou de poésie urbaine, où il évoque la foi, l’échec, la quête de soi, sur des prods planantes. La critique est conquise et le public aussi (disque d’or). Dinos enchaîne avec « Taciturne » (2019) et « Stamina » (2020), poursuivant sa montée en puissance. Sa force réside dans son écriture ciselée bourrée de références littéraires et culturelles (il cite Aimé Césaire, il intitule un morceau « Helsinki » en référence à une œuvre de Kaaris qu’il admire). Il allie l’âme et la technique, le fond et la forme. Dinos s’est imposé comme l’une des voix qui comptent dans le rap actuel, sans scandale ni provocation gratuite – juste par le talent. Le voir à cette place n’est que justice pour ce « rappeur de l’ombre » passé dans la lumière.
Retour vers la fin des années 90. Tandis que le rap français cherche ses nouveaux héros après IAM et NTM, un jeune du 93 arrive avec un seul mot d’ordre : kicker, kicker, kicker ! Busta Flex débarque en 1998 avec son album éponyme produit par Kool Shen, et balance le classique « J’fais mon job à plein temps ». Ce morceau, où il enfile les rimes avec une aisance insolente sur un beat funky, devient un hymne pour tous les apprentis MCs. Busta se fait vite connaître pour son flow mitraillette et ses freestyles de feu (le public se souvient de ses passages à Nulle Part Ailleurs ou Planet Rap où il éclabousse de son talent). Dans la lignée d’un Big L ou d’un Busta Rhymes (dont il emprunte le nom en partie), il apporte un vent de fraîcheur technique. Son duo avec Zoxea, « Tu veux notre vie », reste aussi dans les annales. Après ce départ fulgurant, Busta Flex n’a pas confirmé au même niveau commercial, mais il est resté actif en indé et surtout dans les battles (il a notamment brillé au End Of the Weak). Il demeure un « MC’s MC », respecté pour avoir mis la barre technique très haut à son époque. Quand on parle kickage à l’ancienne, son blaze revient forcément dans la conversation – et c’est mérité.
À l’aube des années 2020, un jeune du 93 s’est imposé tout en finesse dans le rap jeu : Maes. Originaire de Sevran – terreau à talents avec Kaaris, Kalash Criminel ou le regretté FBG –, Maes s’est d’abord fait connaître via ses « Rappes à Punisher » en prison (il a commencé à rapper incarcéré). Une fois dehors, il enregistre des titres qui attirent l’attention du « Duc » Booba. Ce dernier l’invite sur le refrain de « Madrina » en 2018, et c’est le début de la gloire. La même année, le premier album de Maes « Pure » sort et devient disque de platine. Sa voix douce et nonchalante, légèrement autotunée, offre un contraste saisissant avec la dureté de ses récits de rue. Maes, c’est la street mélodieuse : il narre les plans « oseille », les peines de cœur et la trahison en chansons presque planantes. Son deuxième album « Les Derniers Salopards » (2020) cartonne (double platine, porté par « Distant » feat. Ninho). À seulement 27 ans, il a déjà collaboré avec les plus grands (Booba donc, mais aussi Zed, SCH, etc.). Actuellement indépendant après avoir quitté son label, Maes est à un tournant. Une chose est sûre, son empreinte vocale a marqué la trap hexagonale de ces dernières années. On guette la suite de près pour celui qui s’impose comme le nouveau « mauvais garçon » au grand cœur du 93.
Parmi les pionniers du « rap à l’ancienne » en France, les Sages Po’ occupent une place de choix. Ce trio du 92 (Boulogne-Billancourt), composé de Zoxea, Dany Dan et Melopheelo, a apporté dès 1995 une touche de cool attitude et de poésie urbaine dans le paysage hip-hop. Leur premier album « Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ? » (1995) respire la bonne vibe jazzy et les textes bien ficelés. Contrairement à la tendance hardcore de l’époque, les Sages Poètes prônent un rap positif, rempli de jeux de mots et d’egotrip légers. On se souvient de morceaux comme « La rue » ou « Tout le monde dans la place » qui mettent d’accord les puristes. Très proches de NTM (Zoxea ira jusqu’à intégrer le collectif IV My People de Kool Shen quelques années plus tard), ils participent à l’âge d’or du rap français fin 90s. Après un deuxième album en 1998, le groupe se fait plus discret, chaque membre vaquant à ses projets (Zoxea en solo notamment). Mais ils continuent de se réunir ponctuellement, par exemple en 2015 pour l’album « Art contemporain ». Même s’ils n’ont pas eu de hit grand public, les Sages Poètes de la Rue restent dans le cœur de nombreux amateurs comme les représentants d’un rap boombap authentique, humble et technique, un brin nostalgique aujourd’hui mais terriblement savoureux.
Unique en son genre, Abd Al Malik est le trait d’union entre le rap et la littérature, entre la banlieue et l’intelligentsia. Issu du groupe strasbourgeois NAP (New African Poets) dans les années 90, Régis de son vrai nom a opéré une mue artistique et spirituelle qui l’a mené bien au-delà du simple hip-hop. Après des débuts confidentiels, il sort en 2004 l’album « Gibraltar » qui stupéfie par sa profondeur. Malik y mêle rap, slam et chanson, pose des textes ciselés sur des arrangements jazz. La critique adore, le public découvre un ovni : un ex-lascard converti au soufisme, qui cite Édouard Glissant et recadre gentiment les égarés de la République dans « 12 septembre ». L’album est sacré disque d’or et remporte le Prix Constantin. Abd Al Malik enchaîne avec « Dante » (2008) et « Château Rouge » (2010), confirmant son statut d’artiste à part, récompensé aux Victoires de la Musique. Certains « puristes » diront qu’il s’est éloigné du rap – c’est vrai qu’il s’exprime plus souvent en spoken word qu’en kickant. Mais son apport est indéniable : il a prouvé qu’un rappeur pouvait devenir auteur, metteur en scène, et porter un message de paix et d’élévation. Abd Al Malik a ouvert une voie savante dans le paysage urbain, et à ce titre, il mérite largement d’être salué dans ce top.
Rappeur au parcours atypique, Rocca a fait le lien entre la France et l’Amérique latine. Né à Paris de parents colombiens, grandi entre Bogota et la capitale française, il se révèle au sein de la Cliqua, collectif parisien emblématique des 90’s. Sur l’album de La Cliqua « Conçu pour durer » (1995), son couplet en espagnol sur « Puerta del sol » fait sensation – rareté dans le rap hexagonal. En 1997, Rocca sort son album solo « Entre Deux Mondes », considéré comme l’un des meilleurs de l’époque : il y allie flow tranchant, influences new-yorkaises et conscience sociale (« Les Jeunes de l’univers »). Le succès critique est au rendez-vous. Peu après, il décide de tenter sa chance en Colombie et aux États-Unis, et se met à rapper en espagnol avec son groupe Tres Coronas. Là-bas, il devient une petite star du rap latino, éclipsant quelque peu sa carrière française. Mais Rocca n’a jamais oublié Paname : il continue de sortir des projets en français de temps à autre (album « Bogotá Paris » en 2015). S’il est moins médiatisé ici que d’autres de sa génération, son influence internationale force le respect. Il a prouvé qu’un rappeur français pouvait exporter son art outre-Atlantique. Un véritable globe-trotter du hip-hop, technique, incisif, et atypique jusqu’au bout des rimes.
Surnommé le « Sauce God », Hamza est l’une des figures de proue de la nouvelle vague belge qui a déferlé sur le rap francophone. Originaire de Bruxelles, ce jeune artiste s’est fait connaître aux alentours de 2015 en injectant dans le rap FR une dose massive de R&B/trap langoureux à l’américaine. Fan assumé de Drake ou Young Thug, Hamza chante-rappe avec autotune sur des prods vaporeuses, parlant d’amour physique, de fêtes enfumées et de style de vie « high fashion ». Sa mixtape « 1994 » (2017) crée un engouement énorme avec des titres comme « Life » ou « Vibes » – on découvre alors un timbre nasillard, une dégaine de rockstar et une aisance mélo incroyable. Son premier album « Paradise » (2019) le consacre (certifié platine), porté par l’énorme single « Dale x Love ». Hamza a réussi à imposer son style « détente sous codéine » là où on ne l’attendait pas forcément : en France, tout le monde s’arrache ses feats (SCH, Aya Nakamura, Damso, etc.). Il a influencé toute une génération de rappeurs et chanteurs urbains qui mélangent chants sensuels et trap. En 2022, son album « Sincèrement » confirme sa position d’incontournable. Hamza a amené la « sauce » au rap francophone, et la sauce a pris – au point qu’il est aujourd’hui l’un des artistes urbains les plus écoutés du monde francophone.
En quelques années, Soolking est devenu une véritable idole dans tout le monde francophone, voire au-delà. Né en Algérie, il commence par chanter du raï et du reggae avant de se tourner vers le rap. Installé en France en 2014, il est repéré grâce à des sessions freestyle sur Internet (le fameux « Guerilla » chez Skyrock qui cumule des centaines de millions de vues). Soolking frappe fort en 2018 avec son album « Fruit du démon » : le titre « Dalida » y rend hommage à la diva française sur un beat afro-trap hyper dansant, et devient un tube instantané. Autre carton, « Liberté », reprise émouvante du chant révolutionnaire algérien, fait de Soolking la bande-son du hirak (mouvement de protestation en Algérie) en 2019. Soolking réussit le pont entre sonorités maghrébines et trap française, entre conscience et divertissement. Son deuxième opus « Vintage » (2020) et le suivant « Sans Visa » (2022) assoient sa popularité, avec des featurings de prestige (Jul, Gazo, Niska…). Il enchaîne les concerts complets de Paris à Tunis. Soolking, c’est la voix du bled qui s’invite en France, un artiste capable de chanter comme de rapper, de faire danser tout en véhiculant un message d’unité. Un véritable phénomène transfrontalier qui prouve que le rap francophone ne s’arrête pas aux banlieues parisiennes.
Il a inventé un genre à lui tout seul : l’Afro Trap. MHD, Mohamed Sylla de son vrai nom, a mis tout le monde d’accord en 2015-2016 avec ses freestyles Afro Trap, mélange explosif de musique africaine (coupé-décalé, afrobeat) et de trap. Son « Afro Trap Part.3 (Champions League) » dédié à l’équipe du PSG devient viral – même Pogba danse dessus. En l’espace de quelques mois, le petit livreur de pizzas de la Roche-sur-Yon monté sur Paris se retrouve propulsé star internationale : son premier album « MHD » (2016) est disque de platine, il se produit à Coachella (rare pour un Français !), et collabore avec les plus grands (Diplo, Stromae, etc.). Pourquoi un tel engouement ? Parce que MHD apporte de la fraîcheur et de la joie dans le rap, avec ses hymnes festifs (qui n’a pas dansé sur « La Puissance » ou « Bella » en soirée ?). Il a ouvert la voie à la déferlante afro dans le rap français. Malheureusement, sa trajectoire est brisée net en 2018 par une affaire judiciaire lourde qui le mène en prison. Son deuxième album sort en 2018 alors qu’il est incarcéré, et depuis le « Prince de l’Afro Trap » est resté silencieux. Malgré cette fin en eau de boudin, on ne peut ignorer l’impact éphémère mais colossal de MHD, qui aura fait danser la planète rap sur des sonorités venues d’Afrique avec une fierté communicative.
Si on cherche l’artiste le plus innovant visuellement et conceptuellement de ces dernières années, Laylow arrive en tête. Ce Toulousain d’origine ivoirienne a commencé en indé dans les années 2010, peaufinant un univers rétro-futuriste très marqué. Ses premiers projets passent un peu sous les radars du grand public, mais petit à petit, le bouche-à-oreille opère : Laylow propose autre chose. Un mélange de rap et d’électro, des clips cinématographiques dignes de courts-métrages de SF, et un personnage de « digital hustler » torturé par ses démons intérieurs. En 2020, il frappe un grand coup avec « Trinity », un album-concept ambitieux qui embarque l’auditeur dans un récit virtuel. Le projet est salué et obtient un beau succès commercial (certifié platine). Mais c’est surtout son album suivant, « L’étrange histoire de Mr. Anderson » (2021), qui le consacre comme un poids lourd artistique : un album-conte, avec narration, personnages, émotions à fleur de peau… Le public adhère massivement (l’album finit double platine) et Laylow remplit des Zénith avec un show millimétré. En mêlant storytelling personnel (il y parle de la relation avec son père, de sa part d’ombre) et extravagance high-tech, Laylow a redéfini les limites du rap FR. Il prouve qu’on peut être ultra-créatif, un peu perché, et toucher les gens au cœur. Un ovni devenu nouvelle référence.
Le « Jeune Vétéran » du rap marseillais occupe une place à part. Alonzo, ex-membre du groupe Psy4 de la Rime aux côtés de Soprano, a réussi une mue en solo exemplaire. Présent depuis l’adolescence (il rappe sur le premier album de Psy4 en 2002), il aurait pu s’arrêter là après la séparation du groupe en 2010. Que nenni ! Alonzo entame sa carrière solo et trouve rapidement son public grâce à un style hybride : un pied dans la street (il n’a rien perdu de son tranchant lyrical) et un pied dans le club (il sait pondre des refrains entraînants). Ses albums « Règlement de comptes » (2015) puis « Avenue de St. Antoine » enchaînent les hits : « Y’a pas de thème », « Binta », « Dans son sac »… Autant de titres qui tournent en radio et font danser tout l’été. Alonzo représente fièrement Marseille et son quartier des Citrons, tout en collaborant avec la nouvelle génération (Booba, Jul, Ninho, etc.). Avec le temps, il s’est imposé comme un grand frère du rap sudiste, capable de fédérer les anciens et les nouveaux. Son surnom de « Capo Dei Capi » (le boss des boss) illustre bien le respect qu’il inspire. En 2021, il sort l’album « Capo Dei Capi Vol. II » confirmant sa pertinence. Alonzo, c’est la longévité incarnée et la capacité à se réinventer pour rester au top.
Ouvrez grand les oreilles, voici un groupe qui a dynamité les frontières du rap dans les années 2000. Le Saian Supa Crew, collectif parisien aux six membres survoltés (Sir Samuel, Feniksi, Vicelow, Leeroy, Specta et le regretté KLR), a apporté une dose d’originalité et de technique vocale rarement atteinte. Leur carte de visite ? Le beatbox, l’harmonie à plusieurs voix, et un humour ravageur. En 1999, leur premier album « KLR » (hommage à leur pote décédé) connaît un succès massif grâce au tube interplanétaire « Angela » – slow aux influences zouk qui devient un hit radiophonique. Mais réduire le Saian à Angela serait criminel : ces gars savaient tout faire. Du rap pur et dur (« La preuve par 3 ») au délire total (« Ragots » et ses voix de commères), chaque morceau était une expérience. En live, leur énergie fédérait au-delà du public rap, ils ont rempli des salles partout en Europe. Leur second album « X Raisons » (2001) confirme la tendance avec des titres engagés comme « Au nom de quoi ». Le groupe se sépare en 2007, chacun poursuivant des carrières solo modestes (à l’exception de Féfé ex-Feniksi qui a connu un joli succès en chanson). N’empêche, le Saian reste dans les mémoires comme l’un des crews les plus créatifs et doués de l’histoire du rap français, capable de faire rimer technicité et grand public. Un monument qui a largement mérité sa place ici.

Le parcours de Lacrim est intimement lié à sa vie – un vrai roman de bandit devenu star du rap. Issu du 94 mais ayant traîné ses guêtres du côté de Marseille, Lacrim se fait connaître au début des années 2010 avec des mixtapes coup de poing, soutenu par un certain… Mister You (ils enregistrent ensemble le tube de rue « Les rues de ma vie »). Sa voix rauque, son charisme de caïd et ses textes sans fard sur le grand banditisme accrochent vite une frange du public. En 2014, son album « Corleone » arrive #1 des ventes, preuve qu’il a dépassé le stade de rappeur de quartier. Mais la même année, Lacrim doit purger une peine de prison – plutôt que de freiner sa carrière, cela va créer sa légende. Il en profite pour sortir une mixtape enregistrée avant les barreaux, « R.I.P.R.O. Volume 1 », qui cartonne. Libéré, Lacrim ne chôme pas : album « Force & Honneur » en 2017 (accompagné d’une web-série populaire), puis « Grande Armée ». Musicalement, il incarne le « gangsta-rap » à la française, avec des prods trap cinématographiques et des récits de vie dignes de Scarface. Son timbre grave est reconnaissable entre mille. Aujourd’hui, Lacrim est un taulier du rap de rue, respecté pour son authenticité. Sa success-story prouve que même les parcours cabossés peuvent mener au sommet – la rue l’a vu naître, le rap l’a fait roi.
Avant Booba vs Kaaris, il y avait déjà le charisme brut de Stomy Bugsy. Membre fondateur du Ministère A.M.E.R, Stomy (de son vrai nom Gilles Duarte) a joué un rôle déterminant dans l’essor du rap hardcore français. Avec Passi, il choque la France dans les années 90 (rappelez-vous de « Sacrifice de poulet » et son refrain contre la police, ou de « Mon Papa à Moi est un Gangster », où Stomy incarne un fils de truand). En 1996, il se lance en solo et dévoile un autre visage avec le hit « Le Calibre qu’il te faut » – hymne gangsta-funk ultra efficace. Son album « Quelques Balles de Plus » est disque d’or. Dans la foulée, Stomy surprend encore avec « Moi, je n’ai pas changé », balade rap au refrain chanté par un certain Pascal Obispo, qui le fait connaître d’un public élargi. Preuve de sa polyvalence, il entame aussi une carrière d’acteur remarquée (dans le film Ma 6-T va crack-er, puis 3 zéros, etc.). Stomy Bugsy, c’est un mélange de provoc’ et de groove west coast, avec une présence scénique de showman. S’il s’est fait plus rare en musique après les années 2000, son empreinte est indélébile – il reste l’un des premiers « bad boys » du rap français à avoir conquis les médias. Aujourd’hui, il est un des parrains respectés de la vieille école, qui continue de temps à autre de remonter sur scène pour rappeler qu’il est loin d’avoir changé.
Son sourire contagieux a enchanté la France entière pendant quelques années : Black M, de son vrai nom Alpha Diallo, est le membre le plus populaire de Sexion d’Assaut en solo avec Maître Gims. Au sein du groupe parisien, il se démarquait par ses jeux de mots, sa voix haut perchée et son personnage délirant. Quand Sexion fait une pause en 2013, Black M se lance et frappe un grand coup avec « Les Yeux plus gros que le Monde » (2014). L’album est un énorme succès (plus de 700 000 ventes !), notamment grâce au tube « Sur ma route » qui devient un classique instantané de la pop urbaine. Black M séduit par sa bonne humeur, son accessibilité : il rappe, il chante, et ses clips colorés plaisent aux plus jeunes. On peut reprocher une tonalité parfois un peu édulcorée, mais difficile de nier l’efficacité de ses refrains et son sens de la mélodie. Il enchaîne avec « Éternel Insatisfait » en 2016 (disque de platine, porté par « Je suis chez moi » où il clame son amour pour la France face aux attaques racistes). Depuis, la hype est retombée et Black M s’est fait plus discret, préparant notamment le retour de Sexion d’Assaut. Néanmoins, durant la première moitié des années 2010, il a été l’une des superstars du rap français, apportant une vibe feel-good et familiale sans perdre totalement le micro. Une réussite qu’on ne peut occulter dans ce top.
Véritable pionnier et touche-à-tout, Passi a traversé les époques du rap français en y laissant à chaque fois sa marque. Membre essentiel du Ministère A.M.E.R dans les années 90, il choque et provoque aux côtés de Stomy Bugsy. Puis il se lance en solo en 1997 avec « Les tentations », un album majeur qui inclut « Je zappe et je mate » – tube imparable construit sur un sample des Feux de l’Amour (!), qui envahit radios et TV. Passi impose alors son style : un flow rocailleux, une plume imagée qui n’hésite pas à mêler contes urbains et introspection (le morceau « Le monde est à moi » résonne encore). Non content de son succès rap, Passi crée en 1999 le collectif franco-congolais Bisso Na Bisso, fusion inédite de rumba et de rap, qui cartonne avec « Voilà les Africains » – il fait danser tout le continent africain et l’outre-mer. Au début des années 2000, il fonde le label Issap Productions et permet l’émergence de nouveaux (comme le 113 avec « Tonton du Bled »). Il touche aussi au cinéma et à la comédie musicale (La Légende du Roi Arthur). Même s’il est plus discret musicalement ces dernières années, Passi reste ce boulimique de projets qui a sans cesse repoussé les limites du rap vers de nouveaux horizons. Du hardcore au zouk love, il a osé tous les mélanges. Une carrière riche et unique, pour celui qu’on peut considérer comme un grand bâtisseur du rap français.
Des punchlines, de la technique et un grain de voix reconnaissable : à 26 ans, PLK s’est imposé comme l’un des patrons de la nouvelle génération rap. D’origine polonaise et corse (d’où son blaze « Polak »), Mathieu Pruski de son vrai nom a grandi dans le 14e arrondissement de Paris. Il fait ses classes au sein du collectif Panama Bende avant de se lancer en solo en 2017. Très vite, ses mixtapes « Ténébreux » puis « Platinum » mettent tout le monde d’accord : PLK sait kicker sévèrement tout en trouvant des refrains entêtants. Son premier album « Polak » (2018) est certifié platine, avec des bangers comme « Pas les Love » ou « Tempête ». En 2020, il enfonce le clou avec « Enna » (double platine) où figure le tube « Petit bateau ». PLK rappe la vie d’un jeune banlieusard de 20 ans avec authenticité et punch. Ni gangster, ni ange, juste un type normal qui fait de l’oseille et gère ses histoires. Son aisance sur tout type d’instru (boom-bap, trap, pop-urbain) lui donne un public très large. En live, il retourne les salles par son énergie. Aujourd’hui, chaque couplet de PLK en feat devient un événement tant il est attendu et respecté. Il a su se rendre indispensable dans le paysage rap en très peu de temps. Et vu sa progression éclair, on peut parier que ce n’est que le début d’un règne prolongé.
Voilà probablement l’artiste le plus clivant du rap français actuel. Pour certains, Freeze Corleone est un génie lyricale et le maître de la drill hexagonale ; pour d’autres, un provocateur aux textes problématiques. Originaire du 18e arrondissement de Paris, ayant grandi entre la France, le Canada et le Sénégal, Freeze se forge un univers très codé au sein du collectif 667. Longtemps underground, il gagne en notoriété avec des projets comme « Thugnikufein » (2018) où il impose son style froid, monotone, truffé de références cryptiques (animé, conspirations, finance, histoire) et de métaphores choc. Mais c’est en 2020 que Freeze fait exploser les compteurs avec « LMF » (La Menace Fantôme). Le projet se hisse en tête des charts malgré son absence totale de promo traditionnelle – signe d’une fanbase massive en ligne. Des morceaux comme « Freeze Raël » ou « Scellé Part.4 » tournent en boucle chez les jeunes. Techniquement, Freeze est redoutable : multi-syllabiques, placements innovants, il a influencé bon nombre de rappeurs drill en France (Gazo lui-même reconnaît sa patte unique). Cependant, ses lyrics flirtant avec l’antisémitisme et d’autres provocations lui ont valu une vive polémique en 2020 : boycott radio, pression politique. Freeze Corleone reste malgré tout une figure majeure : indépendant, anti-système, il représente la victoire du rap sans filtre via les réseaux. Son aura « mystique » continue de fasciner – et c’est peu dire que chaque nouveau couplet de sa part est disséqué par une armée de fans. Un phénomène qu’on ne pouvait pas ignorer dans ce top, qu’on l’adore ou non.
Le Tonton du bled, l’éternel jeunot du 94 : Rim’K traverse les décennies avec une longévité exemplaire. Révélé au sein du trio 113 (aux côtés d’AP et Mokobé) qui a fait danser la France entière avec « Tonton du Bled » et « Au summum » à l’aube des années 2000, Rim’K a su se réinventer en solo. Après les succès de 113 (Victoire de la Musique en 2000, double disque d’or), il continue l’aventure avec l’album commun « Illegal Music » avec Kery James, puis s’affirme seul. Son album « Familier des lieux » (2004) et surtout « Chef de famille » (2007) montrent qu’il a plus d’une histoire à raconter. Mais c’est véritablement dans les années 2010 qu’on assiste à un second souffle : Rim’K s’adapte aux sonorités trap/électro et sort des bangers imparables comme « Air Max » en 2016 ou « Cellophané ». Toujours prompt à inviter la nouvelle génération (Ninho, PLK, SCH ont collaboré avec lui), il se pose en patriarche bienveillant du rap FR. Son EP « Midnight » (2020) le voit au sommet de sa forme, avec des prods actuelles et une voix posée intacte. Au-delà de la musique, Rim’K incarne une réussite : celle d’un enfant d’immigrés qui a su parler à plusieurs générations d’auditeurs, en mêlant références au bled et vécu de banlieue française. Respecté de tous, il est ce grand frère qui conseille mais sait encore mettre le feu sur un couplet. Une légende vivante, tout simplement.
« Alph Lauren », « Papadon »… Les surnoms d’Alpha Wann reflètent son statut particulier dans le rap français : celui du pape du rap technique à Paris. Co-fondateur du crew 1995 et de L’Entourage avec son complice Nekfeu, Alpha s’est d’abord fait connaître via d’incroyables démonstrations de style en collectif (les freestyles « La Source », ça vous dit quelque chose ?). Toujours en retrait médiatiquement, il a pourtant acquis au fil du temps un respect unanime de la part des puristes. Sa série d’EP « Alph Lauren » (2014-2018) est un concentré de rimes multisyllabiques, de placements imprévisibles et de phases cultes à gogo. Mais le grand œuvre d’Alpha Wann arrive en 2018 avec « UNE MAIN LAVE L’AUTRE » (UMLA pour les intimes). Cet album, entièrement autoproduit sur son label Don Dada, est salué comme un classique instantané. Pas de refrain chanté, pas de concession pop, juste du rap pur où Alpha enchaîne les couplets en or massif sur des instrus boom-bap modernisées. L’album est certifié or, un exploit pour un projet aussi intègre. Depuis, Papadon cultive sa rareté, n’apparaissant qu’épisodiquement en feat de luxe (sa récente collab avec Nekfeu sur « Fuck les 17 » a affolé les compteurs). Alpha Wann prouve qu’on peut mettre tout le monde d’accord sans viser le mainstream. Son influence se ressent chez de nombreux jeunes MCs qui admirent sa suprématie technique. À ce titre, il se devait de figurer en bonne place dans ce top : la qualité avant la quantité, le fond et la forme au plus haut niveau.
Marseille a IAM, Paris a NTM… et entre les deux générations, la cité phocéenne a pu compter sur la Fonky Family pour tenir le flambeau. Véritable phénomène local dès 1997 avec leur premier album « Si Dieu Veut… », les quatre MCs (Le Rat Luciano, Menzo, Don Choa, Sat l’Artificier) et leur DJ Pone ont déferlé sur la France avec un style brut, sans concessions, reflétant la vie dans les quartiers nord de Marseille. « La Furie et la Foi », « Sans rémission », « Esprit de clan »… Autant de morceaux coup de poing qui font l’effet d’un uppercut dans le rap game de l’époque. Le Rat Luciano s’impose comme l’un des meilleurs lyricistes du pays, Don Choa apporte son grain de folie, Sat son sens de la formule et Menzo son énergie rauque. Le succès est au rendez-vous : double disque d’or pour ce premier opus. La FF, c’est l’esprit de clan soudé et la voix de Marseille en guerre contre Paris (sur la compile « Time Bomb », ils lancent un clash mémorable contre les Parisiens). Le deuxième album « Art de Rue » (2001) solidifie leur statut, malgré des tensions internes. Après une séparation, ils reviendront pour un ultime album en 2006 (Marginale Musique). La Fonky Family reste, dans le cœur de beaucoup, LE groupe marseillais des années 2000 qui a prolongé la dynastie initiée par IAM. Leur impact se fait encore sentir – nombre de rappeurs citent leur influence. Une pièce maîtresse de l’histoire du rap français, sans conteste.
Médine est sans doute l’un des rappeurs les plus engagés et constants de la scène française. Depuis le Havre, ce fils d’immigrés algériens porte depuis 20 ans un rap conscient, percutant, avec la volonté d’éduquer autant que d’interpeller. Son premier album « 11 septembre, récit du 11e jour » sort en 2004 – le ton est donné rien qu’avec le titre. Médine n’a jamais eu peur des sujets qui fâchent : religion, géopolitique, racisme, tout y passe dans ses textes enflammés mais réfléchis. Avec son collectif La Boussole puis solo, il a livré des morceaux chocs comme « Dont Panik » (apprendre aux jeunes issus de l’immigration à ne pas céder à la panique identitaire) ou « 17 octobre » (sur le massacre des Algériens à Paris en 1961). Sa trilogie d’albums « Table d’écoute » – « Arabian Panther » – « Protest Song » est à ce titre un modèle de rap contestataire intelligent. Médine a su se renouveler musicalement avec le temps, incorporant des sons plus modernes sur « Storyteller » (2018) ou « Grand Médine » (2020), et même faire des collaborations inattendues (Booba, par exemple, sur le percutant « Kyll »). Personnalité parfois controversée, il a essuyé des tentatives d’annulation de ses concerts pour ses prises de position – ce qui ne l’a pas empêché de remplir l’Olympia. En clair, Médine est un pilier du rap conscient français, héritier d’Ideal J et La Rumeur, qui a su porter le flambeau avec brio, malgré les polémiques. Son verbe ne faiblit pas, et sa place dans ce classement est amplement méritée.
Peu d’artistes peuvent se vanter d’avoir autant exploré que Disiz (anciennement Disiz la Peste). Révélé en 2000 par le tube « J’pète les plombs » – satire d’un jeune de cité qui « vrille » en plein Paris – Disiz est d’abord vu comme le trublion du rap fun. Son premier album « Le Poisson Rouge » est disque d’or et le propulse sur la scène médiatique. Mais loin de se cantonner à ce rôle de pitre, cet artiste originaire d’Évry va montrer une palette bien plus large. Au fil de plus d’une dizaine d’albums en 20 ans, Disiz a tout fait : du rap introspectif et mature (« Itinéraire d’un enfant bronzé » en 2004 où il dénonce le showbiz, ou « Disizilla » en 2018 où il exorcise sa colère), des escapades rock sous l’alias Peter Punk, de la pop urbaine émouvante (« Qu’importe »). Il a même écrit des romans et joué la comédie. Ce qui caractérise Disiz, c’est sa sincérité artistique : il ne s’est jamais laissé enfermer, quitte à dérouter ses fans. En 2022, il connaît un nouveau tournant en signant l’album « L’Amour », aux sonorités très chantées et électro, salué pour sa prise de risques et sa qualité d’écriture. Des classiques comme « Les histoires extra-ordinaires d’un jeune de banlieue » ou « Dancehall » ont jalonné sa carrière. Aujourd’hui, Disiz est respecté en vétéran qui a su garder sa fraîcheur et son envie d’innover. Un caméléon du rap français, dont la présence dans ce top 100 s’imposait naturellement.
Personnage controversé s’il en est, Doc Gynéco a pourtant laissé une empreinte indélébile dans le rap français. En 1996, ce jeune de Porte de la Chapelle (18e arr. de Paris) débarque avec un ovni musical : « Première consultation ». Un album aux sonorités G-funk californiennes, entièrement produit par le maestro américain Ken Kessie, sur lequel Bruno Beausir de son vrai nom adopte un flow traînant et nonchalant pour parler de… sa vie sexuelle, sa banlieue, ses potes, le tout sur un ton cool jamais vu dans le rap hexagonal alors très hardcore. Le succès est colossal : plus d’un million d’exemplaires vendus, des hits comme « Viens voir le docteur » ou « Né ici » qui tournent en boucle. À 22 ans, Doc Gynéco devient une star grand public, le « rappeur de charme » qui passe chez Drucker et séduit des publics bien au-delà du rap. Certes, les puristes lui reprochent ses textes légers et son attitude je-m’en-foutiste, mais on ne peut nier qu’il a démocratisé le rap français en l’amenant sur des terrains inédits (variety show, etc.). La suite sera plus chaotique : un deuxième album inégal, puis une lente descente ponctuée de prises de position politiques impopulaires (son amitié affichée avec Nicolas Sarkozy choque le milieu rap). Il n’empêche, « Première consultation » reste un classique absolu, et l’influence du Doc se perçoit chez beaucoup d’artistes actuels qui mêlent chant, funk et rap. Personnage sulfureux, peut-être, mais artiste majeur à son heure de gloire, sans conteste.
Casquette baissée sur les yeux, voix caverneuse et bangers violents : au milieu des années 2000, Sefyu a incarné à la perfection le rap hardcore de rue. Originaire d’Aulnay-sous-Bois (93) et ancien footballeur en centre de formation, Youssef de son prénom se lance dans le rap sérieusement vers 2004. Il fait mouche d’emblée avec son street-album « Qui suis-je ? » (2006) contenant le furieux « La vie qui va avec ». Son gimmick « Crrrrrr » et son flow ultra saccadé deviennent sa marque de fabrique. Le succès vient avec « Suis-je le gardien de mon frère ? » (2008), album certifié platine grâce à des titres comme « Molotov 4 » et surtout l’énorme tube « Mon Public », où paradoxalement Sefyu sort de son registre pour proposer un morceau festif qui enflamme les foules. À ce moment, il est au sommet : il remporte même une Victoire de la Musique en 2009. Ce qui fait la force de Sefyu, c’est son personnage brut et charismatique, quasi-mystérieux (on ne voyait jamais ses yeux, dissimulés sous sa visière). Il représentait la « vraie street » et ça parlait aux jeunes. Puis, du jour au lendemain, Sefyu a quasiment disparu après un dernier album en 2011, se faisant extrêmement rare (il est brièvement réapparu en 2019). Son impact, lui, reste intact : nombre de rappeurs 2010’s citent Sefyu comme inspiration pour ses flows hachés et son énergie. Il aura prouvé qu’on pouvait conquérir le public sans compromis, et aura livré quelques hymnes indélébiles de l’ère 2000. Un gardien du temple du rap de rue, en somme.
Si une figure incarne le rap français des années 2000-2010, c’est bien La Fouine. Né à Trappes (78), Laouni Mouhid de son vrai nom, a parcouru un chemin impressionnant : de petit dealer en galère, il est devenu l’un des plus gros vendeurs de disques de la décennie, parrain du rap hexagonal à son apogée. Après un premier album confidentiel en 2005, il explose avec « Aller-Retour » (2007) – on se souvient tous de « Qui peut me stopper » et de « Banlieue Sale » où il affiche un style mi-gangsta mi-attachant. Mais c’est vraiment « Mes Repères » (2009) puis « Laouni » (2011) qui le placent tout en haut : La Fouine enchaîne les tubes ( « Du ferme », « Passe-leur le salam », « Tous les mêmes »…), vend des centaines de milliers d’albums, remplit le Zénith. Son secret ? Une capacité à varier les registres : hardcore avec Banlieue Sale, conscient et émouvant quand il parle de sa fille ou du quartier, festif sur les sons club. Tout le monde s’y retrouve et La Fouine devient un véritable cador, au point de s’asseoir à la table des jurys (il sera coach dans Popstars). Certes, sa rivalité très médiatisée avec Booba en 2013 lui porte un coup et entame son aura. Au fil des années 2010, il se fait plus discret, s’orientant vers la spiritualité et d’autres business. Quoi qu’il en soit, impossible d’oublier son règne sur la première moitié des années 2010. La Fouine reste un showman, capable de tenir la scène et de fédérer un public large. Un vrai pilier de l’époque glorieuse du rap français, désormais respecté comme un « ancien » toujours là.

Le grand architecte de la trap « french touch », c’est lui. Kaaris, originaire de Sevran (93), a fait basculer le rap français dans une nouvelle ère en 2013 avec son fameux « Or Noir ». Avant cela, Kaaris avait galéré longtemps, entre débuts avortés et mixtapes dans l’underground. C’est sa rencontre avec Booba qui change la donne : Booba l’invite sur « Criminelle League » en 2012, Kaaris marque les esprits, et enchaîne avec son couplet meurtrier sur le titre « Kalash » de B2O. Dès lors, plus rien ne l’arrête. Son album Or Noir pose les bases d’une trap ultra-violente à la française, aux prods lourdes signées Therapy, et aux lyrics remplis de métaphores choc. On se prend « S.E.V.R.A.N » ou « Zoo » en pleine face : Kaaris décrit un univers de « bélai » (guerre), de drogues, de trahisons, avec un style cru jamais vu ici. Le succès est énorme auprès des jeunes, et la trap devient le nouveau standard du rap français en un claquement de doig… de kalash. Kaaris enchaîne avec « Le Bruit de mon Âme » (2015) confirmant son statut. Par la suite, son beef médiatisé avec Booba (jusqu’à la fameuse bagarre d’Orly en 2018) le détourne un peu de la musique, et sa popularité stagne. Mais l’impact initial reste incontestable : sans K2A, pas de vague trap généralisée, pas de Gazo, pas de PNL sous cette forme. Il a ouvert une brèche dans laquelle tout le rap FR s’est engouffré. Aujourd’hui, s’il s’est diversifié (cinéma notamment), Kaaris demeure l’un des visages emblématiques du rap dur français. L’« Or Noir » a laissé des traces indélébiles.
Petite par la taille, immense par le talent et la rage : Keny Arkana est la porte-voix des sans-voix depuis presque 20 ans. Cette rappeuse marseillaise d’origine argentine a fait de la contestation son credo. Découverte via des apparitions explosives (sur le morceau « Marseille » de Psy4 de la Rime en 2003 notamment), Keny se révèle au grand public en 2006 avec « La Rage » – hymne altermondialiste qui colle parfaitement à l’ambiance post-émeutes de 2005. Son premier album « Entre ciment et belle étoile » la positionne d’emblée comme la révoltée du rap français. Elle y fustige le capitalisme, le système éducatif, prône la révolution avec une ferveur rare. Keny Arkana impressionne par son débit mitraillette, sa sincérité totale (elle a connu la rue, les foyers, et ça se sent) et son engagement bien réel (elle participe aux forums sociaux, aux mouvements ZAD, etc.). Sa musique déborde du cadre rap pour toucher un public militant plus large. En 2012, son album « Tout tourne autour du soleil » continue le combat, oscillant entre colère et spiritualité. Après quelques années de silence, elle revient en 2021 avec des nouveaux titres toujours aussi tranchants (ex : « J’ai Osé »). Keny Arkana, c’est un peu l’âme rebelle du hip-hop hexagonal : aucune concession au showbiz, tout pour le message. Peu de femmes ont eu un tel impact dans le rap français, et aucun autre artiste n’a incarné avec autant de constance la lutte contre « Babylone ». Son cri « La rage du peuple ! » restera gravé comme un des slogans rap les plus puissants jamais lancés.
Ils sont jeunes, ils sont frères, et ils ont conquis la France sans gangsterisme ni ego-trip exacerbés. Bigflo & Oli, les deux Toulousains, ont réalisé un véritable tour de force en rendant le rap accessible à toute la famille tout en restant authentiques. Quand ils débarquent avec « La Cour des Grands » en 2015, Florian et Olivio ne sont âgés que de 22 et 19 ans, mais rappent déjà depuis l’adolescence. Leur fraîcheur, leurs textes pleins de sincérité et d’autodérision séduisent très vite. Certifié platine, ce premier album les propulse plus jeunes rappeurs à remplir l’Olympia. Leur recette : des thèmes universels (la timidité, la relation fraternelle, la vie de tous les jours) traités avec humour et émotion, un flow technique hérité du rap « à l’ancienne » et des influences variées (leur père est un musicien de salsa, ça se sent dans leurs instrus ensoleillées). Le public adhère en masse. Le second opus « La Vraie Vie » (2017) est un raz-de-marée (disque de diamant), contenant des tubes comme « Dommage » – chanson émouvante sur les regrets, qui tourne en boucle en radio et que tout le monde peut chanter, même ceux qui d’habitude fuient le rap. Bigflo & Oli deviennent des superstars, tout en restant des « gentils gars » ancrés dans leur ville rose. S’en suivront un troisième album, des concerts énormes (Stade de France en 2019 en première partie de -M-), et même un rôle de coach dans The Voice pour les deux frangins. Bien sûr, les puristes leur reprochent un côté propret, trop « rap pour les enfants ». Il n’empêche, leur impact est colossal : ils ont amené une nouvelle audience au rap, sans jamais renier la qualité de leurs plumes. Et rien que pour ça, chapeau les artistes !
En 2017, un homme a réveillé le rap de rue français à grands coups de freestyles : Sofiane, alias Fianso. Originaire du Blanc-Mesnil (93), présent en coulisses depuis les années 2010, il était considéré comme un talent sous-exploité. C’est sa série de freestyles #JesuispasséchezSo qui le catapulte sur le devant de la scène. À chaque épisode, Sofiane rappe dans un lieu différent, souvent insolite ou interdit (une sortie d’autoroute bloquée pour « Toka », un avion de ligne pour « Thiéra »…), rassemblant des dizaines de gars de quartiers derrière lui. Le concept fait mouche et sa barba (barbe) devient familière au grand public. Son album « Bandit Saleté » sort en 2017 et est un succès immédiat (disque d’or). Sofiane incarne à ce moment la nouvelle voix du 93, brute et fédératrice, un peu comme un JoeyStarr 2.0 pour la génération Y. Il se pose en grand frère, n’hésitant pas à faire monter les petits jeunes de sa région (via son label Affranchis Music, il signera des talents comme Heuss l’Enfoiré ou Soolking). Musicalement, Sofiane allie trap lourde et rap pur, avec un sens inné de la formule coup de poing (« 93 Empire » rassemble toute la crème du département sur un même morceau anthologique). Outre la musique, il a aussi percé à la TV (série Les Sauvages) et au cinéma (Les Misérables de Ladj Ly). En l’espace de quelques années, Fianso est devenu un incontournable, tant pour sa musique que pour son rôle de passeur. Il a redonné un visage humain et sincère au rap de rue, ramenant la banlieue sur les écrans avec fierté. Une réussite éclatante, qui lui vaut amplement sa place dans ce top.
Niska, c’est la success story d’un mec de quartier qui a imposé ses gimmicks à toute la France. Originaire d’Évry (91) et d’ascendance congolaise, il démarre en groupe local avant de se faire connaître en solo vers 2014-2015. Son style trap dansant, truffé d’expressions argotiques et de références à la culture foot (il est l’inventeur de la célèbre « pouloulou » célébration d’Mbappé) explose avec le tube « Matuidi Charo ». Très vite, Niska devient un pilier du club et du street en même temps. Son album « Zifukoro » (2016) le propulse en haut des charts, mais c’est véritablement en 2017 qu’il surpasse tout le monde : « Réseaux » sort cet été-là et devient un phénomène national (single de diamant, plus grand hit de l’année). Qui n’a pas chantonné « Pouloulouuu » ? Grâce à ce banger imparable, Niska atteint un public bien au-delà du rap. Pourtant, il n’aseptise rien de son univers : ses titres restent bien corsés en verlan et en egotrip. L’album « Commando » (2017) est certifié disque de diamant en un temps record. Fort de sa notoriété, il enchaîne les feats de prestige (Booba sur « Médicament », Shay, Diplo…). Son troisième album « Mr Sal » (2019) confirme qu’il sait aussi varier les ambiances et se livrer un peu plus. Aujourd’hui, Niska est un hitmaker patenté – chaque été, on attend son nouveau son calibré pour faire danser. Mais il reste respecté dans le milieu rap pour ses freestyles tranchants (il a montré qu’il savait kicker dur quand il veut). Avec déjà plusieurs classiques au compteur à 29 ans, le Charo est solidement installé parmi les patrons du rap francophone.
« V’là le cauchemar du rap français » clamait-il en 2005… et il avait raison de s’auto-proclamer ainsi. Sinik, de son vrai nom Thomas Idir, a été l’un des plus gros vendeurs de l’ère 2000 en apportant une plume tranchante et mélancolique au cœur du grand public. Originaire des Ulis (91) tout comme son compère Diam’s, Sinik démarre dans l’underground parisien fin 90s, se forge une réputation avec ses freestyles violents et imagés. Son premier album « La Main sur le cœur » (2004) le met sur orbite : disque d’or, propulsé par « L’assassin », track égotrip d’une froideur chirurgicale. Mais c’est en 2005 que Sinik change de dimension avec « Boulevard des Clips… euh Broken Dreams », pardon, « Boulevard des Halls » – il y collabore avec la chanteuse Vitaa sur « Ne dis jamais » et surtout il livre « Une époque formidable » et « Autodestruction », morceaux à la fois introspectifs et implacables. L’album est double disque d’or. Sinik, surnommé l’Assassin, a un style : une écriture très imagée, avec des métaphores marquantes, et un ton gris, lucide, sur la réalité de sa vie et de la société. Il sait aussi être touchant, comme sur « Je réalise » où il partage le mic avec James Blunt – improbable fusion qui se révèle un hit. Dans la seconde moitié des années 2000, Sinik est au top, rivalisant avec Booba en chiffres. La suite sera plus difficile avec l’émergence d’une nouvelle génération, et il se mettra en retrait petit à petit, non sans tenter quelques retours. Quoi qu’il en soit, au milieu des années 2000, Sinik était un cador qui a converti beaucoup d’auditeurs au rap grâce à ses textes (de nombreux trentenaires citent encore ses punchlines cultes). Un cauchemar pour la concurrence, un régal pour le public.
Le « Parolier » du rap français, c’est lui. Lino, moitié du mythique duo Ärsenik, est reconnu comme l’une des plus fines plumes qu’ait connu le hip-hop hexagonal. Ce grand gaillard du 95 (Villiers-le-Bel) a déboulé en 1998 aux côtés de son frère Calbo avec « Quelques gouttes suffisent… », album immédiatement considéré classique. Le morceau d’introduction « Shooteurs de foule » ou le tube « Boxe avec les mots » donnent le ton : Lino manie la métaphore comme personne et livre des phrases-chocs à la pelle. Après la parenthèse Ärsenik, Lino a su rester pertinent. Son album solo « Paradis Assassiné » (2005) est un bijou de rap poétique et hardcore à la fois, malheureusement un peu sous-estimé à sa sortie. Mais Lino ne cherche pas la hype, il avance à son rythme. En 2015, il revient en force avec « Requiem » : un album magistral où chaque track est ciselé, notamment le terrible « VLB » (pour Villiers-le-Bel) qui revient sur les émeutes de 2007. Plus de 15 ans après ses débuts, Lino prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe : son couplet sur « Esclave 2015 » aux côtés de Sofiane en 2017 en a laissé plus d’un bouche bée. Peu présent médiatiquement, il reste LA référence quand on parle d’écriture haut de gamme. Son influence sur les rappeurs est immense – Booba lui-même le cite en modèle lyricale. Alors certes, Lino n’a pas les milliards de streams de la new school, mais il a ce que beaucoup n’auront jamais : le respect unanime du microcosme rap pour la qualité de sa plume et la cohérence de son parcours. Monsieur Parolier, on s’incline.
Il est sans doute le rappeur français le plus populaire des années 2010 auprès du grand public. À tel point qu’on en oublierait presque son passé hip-hop… Soprano s’est en effet métamorphosé en chanteur pop star, remplissant stades et passant en radio comme pas deux. Mais rewind : d’abord, Saïd M’Roumbaba (de son vrai nom) éclot dans le groupe marseillais Psy4 de la Rime. Au début des années 2000, il impose un flow limpide et une écriture introspective aux côtés d’Alonzo et consorts. Des classiques comme « Le son des bandits » ou « Jeunesse France » montrent sa capacité à parler avec le cœur. En solo, dès 2007, Sopra prend un virage plus chanté : son album « Puisqu’il faut vivre » contient le tube émouvant « À la bien ». Puis arrive « La Colombe » (2010) et surtout « Cosmopolitanie » (2014) où il embrasse pleinement la pop urbaine. Les résultats sont fous : disques de diamant, tournées des Zénith, Soprano devient une superstar fédératrice. Des hits comme « Clown », « Le coach » ou « En feu » tournent sur toutes les ondes, touchant toutes les générations. S’il a mis de côté le rap pur et dur, Sopra n’en garde pas moins un amour du texte et un charisme de showman qui viennent clairement de sa formation hip-hop. Par ailleurs, il reste l’un des rares rappeurs à afficher une telle positive attitude et des messages optimistes (il parle de tolérance, de dépassement de soi) – ce qui lui a valu d’être parfois boudé par la « street ». Peu importe : Soprano remplit des stades (il a fait le Vélodrome à Marseille), et continue de battre des records. Il a sans doute plus fait pour la popularisation du rap en France que beaucoup d’autres, en ouvrant grand les portes du mainstream. Qu’on soit fan ou pas de ses virages pop, impossible de ne pas lui reconnaître cette réussite extraordinaire.
Entre Lomepal et le public français, c’est une histoire d’amour née sur le tard mais d’une intensité rare. Antoine de son prénom, issu de la scène underground parisienne (il rappait avec Fixpen Sill, 5 Majeur, et faisait du skate plus jeune), a pris tout le monde à contre-pied en devenant, en l’espace de deux albums, l’un des artistes majeurs de la nouvelle scène. Son style singulier, oscillant entre rap, chanson et électro, lui a permis de conquérir une audience bien au-delà du cercle hip-hop. En 2017 sort « FLIP », son premier album : succès immédiat, double disque de platine. Le grand public découvre un type à la dégaine de skater mélancolique, qui rappe et chante ses états d’âme avec une honnêteté désarmante. « Yeux disent », « Club », « Palpal » – autant de titres phares qui tournent en radio, ce qui était inimaginable quelques années plus tôt pour un rappeur de sa trempe. Lomepal enfonce le clou en 2018 avec « Jeannine » (album hommage à sa grand-mère schizophrène), véritable chef-d’œuvre introspectif, porté par des titres comme « Trop beau ». Triple platine, rien que ça. Ce qui séduit chez lui, c’est sa sensibilité à fleur de peau, sa façon de parler de la dépression, de l’amour bancal, des angoisses, sur des prods innovantes. Loin des clichés du rappeur macho, Lomepal a apporté un vent de fraîcheur « indé » dans la pop urbaine. Il a depuis fait une pause médiatique suite à des accusations (dont il est sorti blanchi), mais son retour musical est très attendu. Quoiqu’il arrive, il aura marqué cette décennie en prouvant que le rap pouvait être vulnérable et toucher en plein cœur – et ça, c’est la marque des grands.
Casquette vissée, cheveux longs filasses, allure de mafieux Napolitain et voix éraillée… SCH a déboulé comme un personnage de film dans le rap game, et depuis, il règne sur la trap hexagonale avec style et classe. Julien Schwarzer (son vrai nom) vient d’Aubagne près de Marseille. Il se fait remarquer en 2015 en collaborant avec Lacrim, puis explose avec sa mixtape « A7 » (2015). Son univers est immédiatement identifiable : références au grand banditisme, visuels travaillés, et surtout une écriture imagée à souhait. SCH se démarque par sa narration cinématographique : on a l’impression de suivre une série mafieuse en écoutant ses projets. Son premier album « Anarchie » (2016) est un succès (disque de platine), mais c’est avec la trilogie « JVLIVS » qu’il atteint des sommets. « JVLIVS » (2018) et « JVLIVS II » (2021) sont acclamés par la critique et le public pour leur ambition artistique : interludes narratifs, atmosphères sombres dignes d’un thriller, et un SCH au sommet de sa plume. Des morceaux comme « Champs-Élysées », « Marché Noir » ou « Mode Akimbo » affichent des couplets ciselés, entre ego-trip et confidences voilées. SCH a aussi brillé dans l’exercice collectif : sa prestation remarquée dans le projet « 13 Organisé » (l’hymne marseillais orchestré par Jul) avec son couplet sur « Bande Organisée » a mis tout le monde d’accord (son « Zumba cafew » est entré dans le langage courant!). Son charisme l’a même conduit jusqu’à Nouvelle École (le télécrochet rap de Netflix) en tant que juré. Aujourd’hui, SCH est considéré comme un taulier de la scène : un gars qui a élevé le niveau d’exigence artistique tout en restant ultra populaire. Pas un mince exploit. Sa trajectoire ascendante semble loin d’être terminée, et on s’en réjouit.
Provocateur, loufoque, imprévisible et pourtant redoutablement brillant : Vald est un ovni qui a su conquérir le sommet du rap français avec un savant mélange de folie et de lucidité. Originaire d’Aulnay-sous-Bois (93), Valentin est révélé en 2014-2015 par des clips devenus viraux grâce à leur humour et leur absurdité assumée – comment oublier « Bonjour » et ses 8000 « bonjour » de suite, ou « Selfie » et sa critique déguisée de la quête de buzz ? Au-delà du troll, Vald montre vite qu’il rappe très bien et qu’il a des choses à dire. Son premier album « Agartha » (2017) est un énorme succès (disque de platine), porté par le tube « Désaccordé » qui squatte la première place du top single. Vald, c’est l’anti-héros par excellence : un blondinet au regard égaré, qui balance des vérités crues sur la société (« Eurotrap », « Totem »), tout en faisant des pitreries dans le morceau d’après. Il se joue des médias, embrouille les interviews en répondant au 15e degré. Cette attitude intrigante, couplée à un vrai sens de la formule et à des prods ciselées (merci son beatmaker attitré Seezy), fait de lui l’un des chouchous de la génération 2010. Son album « Xeu » (2018) confirme (certifié double platine). En 2020, il monte son label Échelon et continue d’innover en sortant « Ce monde est cruel » puis « V » (2022) sur son propre circuit, avec un succès jamais démenti (il a même fini numéro 1 des ventes en indé total face aux majors). On pourrait dire que Vald est l’enfant terrible du rap français, tantôt clown, tantôt sniper, mais toujours pertinent. Sa fanbase est ultra solide, à l’image de l’influence qu’il a sur la scène actuelle. Un rappeur unique en son genre, qu’on est heureux de trouver si haut dans ce classement.
« À chaque ligne de mon texte, j’viens en paix » – cette phrase de Youssoupha résume bien la posture de cet artiste exceptionnel : celle d’un rappeur conscient, pacifique mais déterminé, qui aura marqué les années 2000-2010. D’origine congolaise, fils d’un célèbre chanteur (Tabu Ley Rochereau), Youssoupha Mabiki grandit en banlieue parisienne et affûte très tôt sa plume. Son premier album « À chaque frère » (2007) fait sensation grâce à des titres comme « Monsieur le Président » (lettre imaginaire à Sarkozy) ou « Le rap avait besoin d’une cure » – le ton est donné : Youssoupha sera la conscience du rap français. Mais c’est avec « Sur les chemins du retour » (2009) puis surtout « Noir Désir » (2012) qu’il atteint le succès public. Ce dernier, certifié platine, contient le single « Dreamin’ » avec Indila, mais aussi la fameuse « Affaire Zemmour » : Youssoupha se retrouve attaqué en justice par le polémiste suite à une punchline, avant d’être relaxé – tournant de la liberté d’expression dans le rap. Loin de se laisser impressionner, il continue son chemin avec un troisième album « NGRTD » (2015) introspectif et abouti. Son écriture littéraire, truffée de rimes multisyllabiques et de messages d’espoir, fait école. Surnommé « le Prims Parolier », Youssoupha a formé plus qu’une génération de rappeurs de l’ombre via ses ateliers d’écriture et son influence positive. Il a aussi signé des titres rassemblant tout le monde, comme l’hymne officiel de l’équipe de France de football en 2022 (preuve de sa reconnaissance). Avec le temps, il s’est fait plus rare (installé en Côte d’Ivoire, il sort en 2021 l’album « Neptune Terminus » plus intimiste). Mais son empreinte sur le rap français est profonde : Youssoupha, c’est la plume élégante qui a prouvé qu’on pouvait revendiquer la paix, l’unité, tout en restant un lyriciste hors pair acclamé de tous.
| Rang | Rappeur | Origine | Album emblématique |
|---|---|---|---|
| 15 | Maître Gims | Paris (Wati B / Sexion d’Assaut) | Subliminal (2013) |
| 14 | Ninho | Essonne (91) | Destin (2019) |
| 13 | Diam’s | Hauts-de-Seine (92) | Dans ma bulle (2006) |
| 12 | Rohff | Vitry-sur-Seine (94) | La fierté des nôtres (2004) |
| 11 | Kery James | Orly (94) – (Ideal J, Mafia K’1 Fry) | Si c’était à refaire (2001) |
| 10 | Nekfeu | Paris (75) – (1995, S-Crew) | Feu (2015) |
| 9 | Jul | Marseille (13) | My World (2015) |
| 8 | PNL | Essonne (91) | Dans la légende (2016) |
| 7 | Damso | Bruxelles (Belgique) | Ipséité (2017) |
| 6 | Oxmo Puccino | Paris (75) | L’Amour est mort (2001) |
Il est l’un des rares rappeurs français à être devenu un véritable phénomène de pop culture. Maître Gims, de son vrai Gandhi Djuna, a débuté dans les années 2000 avec la Sexion d’Assaut, collectif parisien survolté qui a redonné un coup de fouet au rap français en 2010. Sa voix puissante (et toujours cachée derrière des lunettes noires) dominait des hymnes comme « Désolé » ou « Ma Direction ». Dès ses débuts, on sent qu’il a un truc en plus : un sens inné du refrain, une capacité à poser un gros tube. En 2013, Gims se lance en solo et sort « Subliminal ». Le succès est astronomique : l’album dépasse le million d’exemplaires, porté par une rafale de hits interplanétaires – « J’me tire », « Bella », « Sapés comme jamais » (qui gagnera même un Grammy francophone). Maître Gims devient littéralement une méga-star, remplissant des arenas et entrant en rotation sur NRJ comme sur Skyrock. Certes, il s’éloigne du rap pur pour embrasser la pop, le reggae, la variété. Certains puristes crient à la trahison ; lui se voit en artiste complet qui casse les barrières. Ses albums suivants (« Mon cœur avait raison » en 2015, « Ceinture Noire » en 2018) continuent de dominer les charts, faisant de lui l’un des plus gros vendeurs de disques en France tous genres confondus. Gims a ramené les mélodies dans le rap francophone, ouvert la porte à une foule d’artistes urbains chantants. Son impact culturel est immense – ne serait-ce que par le nombre de personnes qui connaissent ses refrains par cœur, de 7 à 77 ans. Aujourd’hui, il fait partie du paysage médiatique au même titre qu’un Johnny ou un Goldman en leur temps. On aime ou on déteste, mais on ne peut nier qu’il a hissé le rap francophone (ou du moins ses dérivés pop-urbains) à un niveau jamais atteint en termes de popularité. À ce titre, sa place parmi les 15 premiers est incontestable.
Plus précoce, tu meurs. À 26 ans seulement, Ninho a déjà accompli ce que beaucoup ne feront pas en une carrière : il est l’artiste le plus streamé de l’histoire du rap français, point barre. Originaire du 91 (Longjumeau) de parents congolais, NI (pour les intimes) débute ado et sort ses premières mixtapes vers 2013-2014. Très vite, sa facilité déconcertante à pondre des refrains mémorables et à briller en feat attire l’attention. Son album « Comme Prévu » (2017) le propulse en tête des ventes (certifié triple platine). Ninho enchaîne tube sur tube : « Maman ne le sait pas », « Roro », « Dis-moi que tu m’aimes »… Sa voix posée, son flow net et ses textes souvent orientés « argent/oseille/ascension sociale » parlent à la nouvelle génération. Mais c’est aussi en featuring que Ninho bat tous les records : il a littéralement scoré un hit avec tout le monde (Sch, Hamza, Damso, Jul, Dadju – pour ne citer qu’eux). On dit en rigolant qu’inviter Ninho est assurance d’un single d’or tant sa cote est élevée. En 2019, son album « Destin » finit disque de diamant. Puis la mixtape « M.I.L.S 3 » (2020) l’installe définitivement comme le boss du rap game en termes de chiffres. Il collectionne les certifications (plus de 100 singles d’or ou platine à son actif, un record absolu !). Ninho, c’est le triomphe d’un rap mainstream de qualité, qui plaît aux quartiers comme aux radios. Certes, on peut lui reprocher de rester dans sa zone de confort niveau thèmes, mais comment ne pas saluer son efficacité redoutable ? Chaque année depuis 5 ans, il est l’artiste le plus écouté en France tous genres confondus. Une machine à hits, mais dotée d’un vrai talent d’écriture et d’une voix reconnaissable. La nouvelle génération le voit comme le numéro 1 actuel, et il serait difficile de contester. Et dire qu’il n’a même pas encore sorti son troisième album studio… Le règne de N.I n’en est peut-être qu’à ses débuts !
Son blaze brille toujours comme un diamant dans l’histoire du rap français. Diam’s, de son vrai nom Mélanie Georgiades, a été la première superstar féminine du rap hexagonal, mais aussi la voix d’une génération entière dans les années 2000. Issue des Hauts-de-Seine (à 91/92 entre Orsay et Bagneux), elle débarque fin 90s dans un milieu très masculin avec une rage et une plume exceptionnelles. Son ascension n’est pas immédiate : un premier album confidentiel en 1999, puis il lui faut batailler pour se faire respecter. Le tournant arrive avec « Brut de femme » (2003) et le single « DJ » – Diam’s commence à passer en radio, ses textes cash sur la galère des meufs et la société plaisent. Mais c’est en 2006 que tout explose : son album « Dans ma bulle » est un phénomène de société. Diam’s y alterne bangers rap couillus ( « La Boulette », hymne anti-système au refrain imparable, élue chanson de l’année) et titres hyper personnels (« Ma France à moi », « Confessions nocturnes » avec Vitaa). Elle devient la porte-parole des jeunes, des quartiers, et des femmes, le tout à la fois – du jamais vu. L’album se vend à plus d’un million d’exemplaires, Diam’s rafle les récompenses (Victoires de la musique, MTV Awards) et remplit les Zénith. Son impact va bien au-delà de la musique : son style baggy/baskets, son franc-parler marquent les esprits. En 2009, son album « S.O.S » confirme le succès (mais révèle aussi son mal-être). Epuisée, Diam’s se retire progressivement, jusqu’à quitter totalement la musique après sa conversion à l’islam et un choix de vie loin des projecteurs. Son absence a laissé un vide béant, preuve de l’importance qu’elle avait prise. On peut dire sans trop se tromper qu’elle a ouvert la voie à toutes les rappeuses venues après – et même inspiré nombre de rappeurs hommes par sa sincérité. Diam’s, c’était un météore brillant et rare, une femme qui a porté le rap français au sommet en restant authentique. Son héritage se ressent encore aujourd’hui. Un top 15 sans elle aurait été impensable.
À l’évocation de son nom, c’est tout un pan de l’histoire du rap français 2000’s qui resurgit. Rohff (acronyme pour « Rimeur Original Hardcore Flow Fluide ») a été – et reste – l’un des plus grands, tant par son talent que par sa longévité. Né à Madagascar, grandi à Vitry-sur-Seine (94) dans le légendaire quartier Balzac, Housni Mbaka a démarré au sein de la Mafia K’1 Fry aux côtés de Kery James, 113 & co. Très vite, Roh2f se distingue par un flow énervé et des punchlines impactantes. Son album « La Vie Avant la Mort » (2001) le révèle au grand public, notamment grâce au tube « Qui est l’exemple » – oui, Rohff a réussi là où d’autres rappeurs hardcore ont échoué : placer un son rap pur en tête des charts tout en restant authentique. Dès lors, il enchaîne : « La Fierté des Nôtres » (2004) double album classique, puis « Au-delà de mes Limites » (2006) et « Le Code de l’Honneur » (non, celui-ci c’est son premier en 99) pardon – « Le Code de l’Horreur » (2008). Chacun renferme son lot de hits ( « Rap Game », « Regretté », « En mode »…) et témoigne de l’évolution musicale de Rohff, qui sait aussi bien kicker sale que poser sur des prods plus West Coast ou dansantes. Dans les années 2000, la rivalité Rohff vs Booba tient en haleine le public, symbolisant le duel 94 vs 92, Vitry vs Boulogne, rap de rue vs rap luxe. Si Booba a fini par l’éclipser médiatiquement, Rohff reste de son côté un monstre de technique et de longévité : il continue de sortir des projets (série d’albums « Surnaturel » entamée en 2018) et de remplir des salles. Certes, des ennuis judiciaires et un certain entêtement old-school ont pu ternir son image ces derniers temps. Mais on parle d’un artiste qui a une discographie XXL truffée de classiques, et qui a inspiré quasiment tout le 94 et au-delà. Son surnom « Le Padre du Rap Game » n’est pas volé – il a été et demeure un pilier du hip-hop français. Le mettre hors du top 15 aurait été un affront à l’histoire du mouvement.
« Si c’était à refaire, je referais ce choix… » Le choix de faire du rap un vecteur de conscience et d’élévation. Kery James est l’incarnation même du rap engagé et profond en France. Né en Guadeloupe, arrivé à Orly (94) enfant, il débute ado au sein d’Ideal J (avec DJ Mehdi et Rohff notamment). À 13 ans, il choque déjà avec ses textes hardcore sur « Je représente » (1992). Mais Kery va surtout évoluer : après la mort tragique de son ami Las Montana en 1999, il se recentre, se convertit à l’islam et change radicalement de propos. Son premier album solo « Si c’était à refaire » (2001) est un chef-d’œuvre de rap conscient : Kery, plume affûtée et cœur lourd, y dissèque la condition des banlieues, parle d’amour maternel, de religion, sur des prods soulful inoubliables. Il devient la voix des quartiers qui veulent s’en sortir. La fameuse « Lettre à la République » (2012) où il interpelle l’État sur l’abandon des jeunes de banlieue est un morceau manifeste qui résume son combat. Kery James n’a jamais cherché la facilité commerciale : pas de gros tubes radio à son actif, et pourtant une carrière exemplaire. Des albums comme « Ma Vérité » (2005) ou « Réel » (2008) sont disques d’or, preuve qu’on peut toucher beaucoup de monde avec du fond. Il a formé la Mafia K’1 Fry dans l’intervalle (qui a livré l’hymne « Pour ceux »). Avec l’âge, Kery est devenu une sorte de sage du rap français, organisant des concerts acoustiques, montant sur scène pour un théâtre engagé (« À vif », pièce sur l’égalité des chances). Son impact se mesure en respect : toute la nouvelle génération le cite comme exemple d’intégrité et de technique (car oui, Kery en pure technique rap c’est du top niveau aussi). Sa formule « 94 c’est le thèèèème » reste culte, tout comme ses scènes freestyles a cappella qui laissent le public en larmes. Kery James a apporté une dignité au rap français, une dimension quasi philosophique. Pour cela, il mérite amplement sa place aux portes du top 10.
Il est le chouchou de la génération millenials, le poète urbain qui a réussi à allier crédibilité du texte et succès massif : Nekfeu, de son vrai nom Ken Samaras, occupe la 10e place de notre classement. Révélé au sein des collectifs 1995 et S-Crew au début des années 2010, il crève rapidement l’écran par son flow incandescant et sa gueule d’ange blond. Ses références manga, son style plus cool que gangster plaisent aux jeunes qui se reconnaissent en lui. En 2015, il sort son premier album solo « Feu » : c’est un raz-de-marée. Porté par des titres comme « On verra » (générationnel) ou « Ma dope » (plus introspectif), l’album est certifié diamant – du jamais vu pour un premier opus rap en France depuis l’ère Diam’s. Nekfeu devient un phénomène : ses concerts affichent complet, son image de rappeur idéal (sensible, engagé, technique) séduit bien au-delà du public hip-hop traditionnel. Et loin de se reposer, il enchaîne avec « Cyborg » (2016), balancé par surprise en plein Bercy – album encensé, re-disque de platine, où il peaufine son art. Puis « Les Étoiles Vagabondes » (2019) accompagné d’un film documentaire, qui témoigne de sa quête artistique et personnelle aux quatre coins du monde. Nekfeu a su allier la quantité (chaque projet foisonne de titres) et la qualité littéraire (il est sans conteste l’un des meilleurs lyricistes de sa génération). On lui reproche parfois un côté « moralisateur », mais son public apprécie justement la profondeur de ses textes, souvent tournés vers l’introspection, l’amitié, les doutes existentiels. Artistiquement, il n’hésite pas à expérimenter avec le jazz, la soul, la trap, toujours entouré de son cercle (Ses grands potes du S-Crew ou du collectif 5 Majeur). En pause depuis 2019, il manque à la scène française, signe de son importance. Nekfeu a marqué les années 2010 comme peu d’autres, en devenant une icône du rap « à texte » capable de remplir des stades. Son impact culturel (citations en cours de français, étude de ses lyrics par des académiques) atteste de sa place à part. Bref, Ken a allumé un feu qui n’est pas près de s’éteindre.
« Eh bèèè, ça vient de Marseille ! » crie la voix scratchée au début de chacun de ses albums. Oui, Jul vient de Marseille, et il a littéralement redéfini ce que signifie le succès populaire dans le rap français. En l’espace de 8 ans, le « J » est devenu un véritable phénomène de société, au point qu’on ne compte plus ses records. Rien qu’en 2022, il a été l’artiste le plus écouté en France pour la 4e année de suite, tous genres confondus – du jamais vu. Et pourtant, que de mépris initialement autour de lui ! Quand Julien Mari sort « Dans ma paranoïa » début 2014, beaucoup rigolent de ce blondinet en survêt’, à l’accent chantant et à l’autotune dégoulinant. Mais très vite, le public accroche à sa sincérité brute et à son sens inné de la mélodie. Son refrain de « Tchikita » en 2015, tout le monde l’a fredonné. Son gimmick « Wesh alors » est entré dans le langage courant. Jul, c’est le gars du quartier Saint-Jean du Désert qui fait tout tout seul : beatmaking, chant, rap, clip… et qui inonde le marché de projets (plus de 25 albums en 8 ans !). Il a remis au goût du jour la « prod marseillaise » à base de synthés entêtants et de rythmiques dansantes. Il a multiplié les bangers pour les soirs d’été, mais sait aussi livrer des sons introspectifs sur sa vie, ses regrets, qui touchent beaucoup son public. On l’a vu évoluer, du jeune un peu foufou à l’entrepreneur (il a monté son label indépendant qui vend à foison). Et surtout, Jul a réussi l’exploit de fédérer. La preuve ultime : son projet « 13’Organisé » en 2020 réunit toute la scène marseillaise, anciennes gloires et petits nouveaux, sur un même album. Le titre « Bande Organisée » qui en est issu est devenu le plus gros hit rap FR de l’histoire (single de diamant en 3 mois, refrain « Zumba Cafew » sur toutes les bouches). Incroyable pour un morceau purement marseillais ! Mais c’est ça Jul : un talent fédérateur, qui fait danser la France entière du centre-ville aux villages. Certains puristes ne le mettront jamais dans leur top lyrical, mais on ne peut nier son impact colossal et sa productivité de stakhanoviste. Jul a ramené le fun, la simplicité et l’accessibilité dans le rap, sans calcul et avec une générosité rare (il offre régulièrement des albums gratuits à ses fans). « Ça vient de Marseille, 13 !» – plus qu’une signature, c’est le signe qu’il a déjà laissé son empreinte dans la légende.

C’est l’histoire de deux frères d’Île-de-France qui, sans promo ni radio, ont hissé leur art aux sommets et donné une nouvelle dimension à la musique urbaine française. PNL (pour Peace N’ Lovés, signifiant « paix et argent » en verlan) est bien plus qu’un groupe de rap : c’est un phénomène culturel. Ademo et N.O.S, originaires de Corbeil-Essonnes (91), ont d’abord fait leurs armes chacun de leur côté avant de s’unir en 2014. Très vite, leur style inimitable se met en place : une trap atmosphérique, planante, des textes truffés d’images et de métaphores sur la galère, la famille, les rêves de richesse, le tout chanté-rapé avec de l’autotune à haute dose qui accentue la mélancolie de leurs voix. Leur album « Le Monde Chico » (2015) crée l’engouement, mais c’est vraiment avec « Dans la légende » (2016) qu’ils entrent… dans la légende, justement. Cet album, sans aucune collaboration extérieure, devient disque de diamant, une première pour un duo 100% indépendant, et propulse PNL sur le devant de la scène mondiale (ils seront invités à Coachella, performance rare pour des Français). Des titres comme « Naha », « Da Uzi », et surtout l’hymne « Onizuka » ou « Jusqu’au dernier gramme » s’accompagnent de clips-courts métrages tournés dans le monde entier, reliant leurs histoires de cité aux paysages du bout du monde – un univers cinématographique jamais vu dans le rap FR. Leur tube « Au DD » (2019) tourné en haut de la tour Eiffel (!) achève de confirmer qu’ils jouent dans la cour des grands : qui d’autre l’a fait ? PNL, c’est l’identité forte : pas d’interview, pas d’apparition publique (leur mutisme alimente le mystère), juste la musique, les visuels, et le lien quasi spirituel avec leur fanbase. En live, ils remplissent des AccorHotels Arena en un clin d’œil, le public entonnant leurs refrains comme des hymnes religieux. Ils ont influencé une flopée d’artistes dans la vague « cloud » et trap-mélodique. Au-delà des chiffres colossaux (plus de 3,3 milliards de streams cumulés, multi disques de diamant), PNL a apporté une âme et une poésie nouvelle au rap français, fait tomber les barrières entre rap de rue et pop mainstream, le tout sans jamais céder aux sirènes médiatiques. Un exploit unique, que seuls deux frères très soudés pouvaient accomplir. La légende de PNL ne fait sans doute que commencer.
En l’espace de quelques années, Damso est passé du statut de rookie belge à celui de figure emblématique du rap francophone. William Kalubi, originaire de Kinshasa et ayant grandi à Bruxelles, s’est fait connaître dans le giron de Booba qui le signe sur son label en 2016. Et quelle entrée en matière ! Son premier album « Batterie Faible » (2016) dévoile un artiste d’une profondeur sombre, aux textes bruts et poétiques, narrant sans fard les relations toxiques, le sexe, la dépression. La plume de Damso frappe par sa crudité littéraire – capable de métaphores filées et de moments d’une sincérité crue sur lui-même. Son second album « Ipséité » (2017) le catapulte au sommet : c’est un raz-de-marée commercial (l’album frôle le double disque de diamant en cumulé), et critique (certains parlent d’un classique instantané). Des titres comme « Macarena » ou « Θ. Macabre » tournent en boucle. Damso impose tout un lexique (« smog » pour parler du spleen, etc.), et un style introspectif sur des prods parfois planantes, parfois très trap lourdes. Loin de se reposer, il enchaîne en 2018 avec « Lithopédion », tout aussi acclamé. Puis il prend ses distances avec Booba pour voler de ses propres ailes, confirmant son aura d’artiste libre et perfectionniste. En 2020, son album « QALF » est encore un énorme succès, Damso s’y montre plus apaisé, explorant de nouvelles sonorités (un titre quasiment zouk, des envolées chantées…). Au-delà des chiffres (il a atteint plus de 3 milliards de streams, un record pour un artiste belge), Damso a eu un impact colossal sur la scène rap : il a ouvert la voie à Bruxelles, il a montré qu’on pouvait allier succès populaire et contenu d’une grande noirceur littéraire, il a inspiré d’innombrables rappeurs par son authenticité. Même ses excentricités (comme écrire une chanson du point de vue d’un fœtus avorté, sur « Amnésie ») sont saluées pour l’audace artistique. À ce jour, Damso est considéré comme l’un des meilleurs paroliers de sa génération, et chaque couplet qu’il lâche en featuring devient un événement. Tout cela, en moins de 10 ans de carrière – chapeau l’artiste. Si l’on devait garder un seul rappeur belge dans l’histoire du rap français, ce serait très probablement lui.
On le surnomme « le Black Jacques Brel », c’est dire le respect qui entoure Oxmo Puccino dans la musique française. Ce natif du Mali, arrivé tout jeune à Paris dans le 19e arrondissement, est l’un des plus grands poètes qu’ait connu le rap hexagonal. Dès ses débuts dans les années 90 au sein du collectif Time Bomb (qui comptait aussi Booba à ses débuts, Ali, Hi-Fi…), Oxmo frappe par la qualité de sa plume : des rimes riches, des métaphores dignes de la littérature, un flow calme et posé qui tranche avec l’agressivité ambiante de l’époque. Son premier album « Opéra Puccino » (1998) est immédiatement salué comme un classique : comment oublier le storytelling tragique de « L’enfant seul » ou la poésie crue de « Mama Lova » ? Oxmo impose un style mafioso à la française, comparé à un parrain qui raconterait ses états d’âme sur une instru jazzy. La suite de sa carrière le voit expérimenter, toujours avec brio : « L’amour est mort » (2001) et « Cactus de Sibérie » (2004) le maintiennent comme un chouchou des connaisseurs. Puis dans les années 2010, Oxmo élargit son horizon : son album « L’Arme de Paix » (2009) remporte une Victoire de la Musique, tout comme « Roi sans carrosse » (2012). Il collabore avec des musiciens de jazz, se produit dans des festivals de poésie, devient un pont entre le rap et la chanson (son titre « 365 jours » est étudié en classe de français !). Par son parcours, Oxmo a prouvé la maturité du rap en tant qu’art. Il n’a jamais cherché le tube radio, mais paradoxalement son aura n’a fait que grandir auprès du grand public au fil du temps, tant il incarne la figure du « sage du rap ». Aujourd’hui, il est célébré par ses pairs (on l’invite à déposer des textes sur l’Académie Française, c’est dire !). Et malgré cette stature d’ancien, il reste dans une démarche de transmission (ateliers d’écriture, etc.). Si le rap français a pu acquérir ses lettres de noblesse, c’est en grande partie grâce à Oxmo Puccino, orfèvre du verbe et raconteur d’histoires hors pair. Une légende vivante, tout simplement.
Son parcours est la définition même de « monter en puissance ». Orelsan, alias Aurélien Cotentin, a commencé à poster des petits sons provoc’ sur MySpace depuis sa Normandie natale, et le voilà aujourd’hui multi-récompensé, auteur de classiques et chéri aussi bien par le public rap que par le grand public. Le chemin n’a pas été sans embûches : en 2009, le buzz de son titre « Sale Pute » lui vaut une grosse polémique (textes misogynes selon certains) et lui ferme des portes. Il rebondit avec son premier album « Perdu d’Avance » (2009) où il impose son personnage de slacker candide et cynique, fan de jeux vidéo et glandeur assumé. On le compare beaucoup à Eminem pour son côté trublion de province. Mais Orel ne compte pas rester l’éternel ado insolent : en 2011, son second album « Le Chant des Sirènes » montre une évolution monstrueuse. Musicalement plus riche, textuellement plus profond, l’album est un succès critique et commercial (disque de platine, Victoire de la Musique). Des titres comme « Plus rien ne m’étonne » ou « Suicide social » démontrent qu’il a beaucoup à dire sur la société, la province, les galères de trentenaires. Après une parenthèse ciné/série et deux albums délirants avec Gringe (les Casseurs Flowters), il revient en 2017 avec « La Fête est Finie ». Et là, c’est le raz-de-marée : double disque de diamant, une flopée de tubes (« Basique », « Tout va bien », « Défaite de famille »), Orelsan devient une superstar. Surtout, il s’impose comme le narrateur de sa génération, celui qui sait si bien raconter les nuits arrosées, les espoirs déçus, le temps qui passe. En 2021, son album « Civilisation » enfonce le clou : il bat les records de vente en première semaine du siècle en France (plus de 138 000 ex), reçoit encore une pluie de récompenses. Son documentaire « Montre Jamais Ça à Personne » cartonne sur Amazon, montrant les coulisses de sa vie et prouvant combien il a mûri. Orelsan est passé du statut de vilain petit canard du rap à celui de chef de file unanimement salué. Son secret ? Une authenticité et une capacité d’évolution remarquables. Il sait se remettre en question, progresser techniquement et artistiquement à chaque projet. Aujourd’hui quadragénaire, il reste au sommet de son art, remplissant des arènes entières en tournée. Orelsan est un peu le porte-drapeau du rap français contemporain : qualitatif, varié, introspectif et capable de fédérer très large. Pas étonnant qu’il figure aussi haut dans notre classement.
On lui doit d’avoir fait découvrir le rap à la France entière au début des années 90. MC Solaar est tout simplement le premier grand ambassadeur du hip-hop hexagonal. Claude M’Barali, de son vrai nom, né à Dakar et grandi dans le 92, déboule en 1990 avec le single « Bouge de là » – un carton phénoménal. Son style est inédit : un flow calme, posé, presque murmuré, et des textes bourrés de jeux de mots, d’humour et de références littéraires. Sur des samples jazz ou funk concoctés par son acolyte Jimmy Jay, Solaar sort l’album « Qui sème le vent récolte le tempo » (1991) qui devient la première grande réussite commerciale du rap français. On y trouve « Bouge de là » donc, mais aussi « Caroline », sublime chanson d’amour métaphorique devenue un classique intemporel. Solaar enchaîne avec « Prose Combat » (1994), chef-d’œuvre qui contient « Nouveau Western » (et son sample de Gainsbourg), « Obsolète », « La Concubine de l’hémoglobine » – autant de titres qui asseyent sa réputation de grand lyriciste tout en restant accessible. Il devient littéralement une star grand public : passage télé chez Michel Drucker, interviews dans les quotidiens, tout le monde s’accorde à dire que « le rap, c’est pas si mal, la preuve MC Solaar c’est bien ». Il ouvre ainsi la voie aux générations suivantes en brisant les préjugés sur cette musique. Solaar maintient sa popularité tout au long des 90s avec deux autres albums (mention spéciale à « Gangster Moderne » et « Solaar pleure » en 1997). Son écriture fine et son charisme en font un digne héritier des chansonniers français, si bien qu’on l’étudiera même en cours de français. Au début 2000, son influence marque le pas face à la vague plus hardcore (IAM, NTM…), et il se fait discret après 2007. Mais en 2017, surprise, il revient avec un album et remplit les salles en un claquement de doigts, preuve que le public ne l’a jamais oublié. Si aujourd’hui le rap est partout, c’est en partie grâce à MC Solaar qui l’a introduit avec classe et intelligence il y a plus de 30 ans. Un pionnier, un poète, un incontournable.
NTM, trois lettres en forme de coup de poing. Le groupe le plus emblématique du rap français, celui par qui le scandale est arrivé et grâce à qui toute une génération a découvert le hip-hop. Formé en 1988 à Saint-Denis (93) par JoeyStarr (Didier Morville) et Kool Shen (Bruno Lopes), le Suprême NTM a tout fait pour le mouvement : l’attitude, la provoc’, la conscience sociale, et bien sûr des albums cultes. Dès leur premier opus « Authentik » (1991), ils frappent fort avec « Le monde de demain » et « L’argent pourrit les gens ». Eux vivent et respirent la culture hip-hop (tags, break, DJ, tout y est), et incarnent pour la société française la jeunesse révoltée des cités. Les concerts de NTM sont électriques, souvent émaillés d’incidents – la tension est telle que JoeyStarr et Kool Shen finiront condamnés en 1996 pour des propos virulents sur la police (affaire de la « Police »). Mais musicalement, ils montent en puissance : l’album « 1993… J’appuie sur la gâchette » et surtout « Paris Sous les Bombes » (1995) contiennent des classiques à la pelle (« La Fièvre », « Pass pass le oinj », « Plus jamais ça »…). La force de NTM, c’est d’allier des flows tranchants (Joey rauque et agressif, Kool Shen technique et posé) à des productions de pointe (DJ S, LG Experience…) et des textes qui reflètent la dure réalité (émeutes, drogue, violences policières) tout en prônant l’espoir et l’unité (« Laisse pas traîner ton fils »). En 1998, leur album « Suprême NTM » les place au firmament : du hardcore « Seine-Saint-Denis Style » au funky « Ma Benz » avec Lord Kossity, en passant par le puissant « That’s My People », tout le monde adhère. Paradoxalement, c’est à ce sommet qu’ils se séparent en bons termes (en 2001). JoeyStarr et Kool Shen poursuivent en solo, mais la marque NTM reste gravée comme la référence absolue du rap contestataire français. Quand ils se reforment pour des concerts en 2008 puis 2018, c’est stade plein direct et triomphe générationnel. Ils sont nos Public Enemy à nous, la rage du 93 incarnée, mais aussi une conscience collective (« Pose ton gun » résonne encore). Si tant de jeunes ont pris le micro ensuite, c’est que NTM avait ouvert la voie en disant haut et fort « nique la police » et « On est là ». Incontournables légendes du hip-hop, NTM mérite sans contestation sa place sur le podium.
Marseille, 1986. Cinq jeunes passionnés forment un groupe qui, quelques années plus tard, deviendra synonyme de chef-d’œuvre du rap français. IAM, c’est Akhenaton, Shurik’n, Khéops, Imhotep et Kephren – un collectif de samouraïs phocéens qui a élevé le hip-hop au rang d’art à part entière. Après des débuts tâtonnants, ils sortent en 1991 « …De la Planète Mars », un premier album qui pose les bases d’un style inimitable mêlant références égyptiennes, philosophie orientale et réalités marseillaises. Mais c’est en 1997 qu’ils frappent l’histoire : « L’École du Micro d’Argent » arrive et rien ne sera plus jamais pareil. Plus d’un million d’exemplaires vendus, Victoire de la Musique, et une pluie de classiques : « Petit frère » (hymne mélancolique sur la jeunesse paumée), « La saga » (en feat avec le Wu-Tang Clan s’il vous plaît, reliant Marseille à New York), « Nés sous la même étoile », « Demain c’est loin » (véritable film auditif de 9 minutes sur la vie de quartier, chef-d’œuvre absolu). L’album est souvent cité comme le plus grand disque de rap français de l’histoire – et difficile de contredire. IAM a apporté un souffle épique au rap, une qualité d’écriture littéraire (Akhenaton et Shurik’n sont des paroliers fabuleux) et une production musicale ultra léchée signée Imhotep, mêlant sonorités funk, soul et musiques du monde. Ils ont mis Marseille sur la carte, prouvé que le rap pouvait avoir une dimension quasi spirituelle tout en étant ancré dans le réel. Après ce sommet, IAM a continué (peut-être sans atteindre ce pic, mais restant très pertinents – cf. l’album « Arts Martiens » en 2013, excellent). Leur influence est partout : des milliers de rappeurs se réclament de leur école (la « fine école » du micro d’argent). Leur longévité force le respect (plus de 30 ans de carrière!). Et surtout, IAM c’est une fraternité artistique indéfectible, qui a su toujours placer l’humain et la culture au-dessus du business. S’ils ne sont « que » deuxièmes de notre classement, c’est dire la concurrence au sommet… Mais dans le cœur de beaucoup, IAM est imbattable. Sans eux, le rap français n’aurait sans doute pas cette profondeur. Merci, le Sud !

Qui d’autre ? Booba est le patron incontesté du rap français depuis deux décennies. Une carrière d’une longévité et d’une intensité rares, ponctuée de multiples classiques, de réinventions successives, de polémiques aussi – faisant de lui la figure la plus iconique du mouvement. Elie Yaffa commence dans les 90s avec le groupe Lunatic (son duo avec Ali a accouché de l’album « Mauvais Œil » en 2000, véritable bible du rap dur). Puis il se lance en solo et sort « Temps Mort » (2002). Le succès est déjà au rendez-vous, Booba impose son personnage de Duc de Boulogne : un rappeur arrogant, féroce lyriciste, aux références à la pop culture US et à la rue de chez nous. Les punchlines pleuvent (« j’rappe pour ceux qu’on bouffe de la vache enragée », etc.), le public est conquis. Album après album, Booba va façonner l’évolution du rap français : « Panthéon » (2004) et « Ouest Side » (2006) le voient flirter avec le mainstream (le tube « Garde la pêche », le magnifique « Pitbull »). Puis il opère un virage autotune/électro avec « 0.9 » (2008), préfigurant la vague trap/urbain moderne. Il sera d’ailleurs l’un des premiers à collaborer avec des beatmakers de trap US pour amener ce son ici. Chaque génération de rappeurs a vu Booba régner : dans les années 2010, il est au sommet de sa popularité avec des titres comme « Boss », « 92i Veyron », « Scarface », et des albums « Futur » ou « Trône » certifiés platine ou diamant. Ses clips sont des événements, ses tournées mondiales affichent complet. Le “Duc” a aussi été un découvreur de talents : il a aidé à mettre en lumière des gens comme Mala, Brams, plus tard Shay, Damso, etc. Bien sûr, on ne peut parler de Booba sans évoquer ses nombreux beefs et provocations (Rohff, La Fouine, Kaaris, et plus récemment les réseaux sociaux où il ferraille avec toute la scène ou presque). Mais paradoxalement, ces conflits n’ont fait qu’alimenter sa légende et prouver son hégémonie : Booba n’a peur de personne et le fait savoir. À 46 ans, il remplit encore le Stade de France (concert prévu en 2024) – premier rappeur français à accomplir cela. Côté chiffres, il a vendu plus de 3 millions d’albums cumulés et totalise plus de 2,9 milliards de streams, ce qui le place tout en haut du game économiquement. Mais au-delà des stats, c’est son impact culturel qui est immense : Booba a inspiré au moins deux générations de rappeurs par son style égotrip, sa gestion indépendante (il a monté son label 92i), sa façon de toujours se renouveler. Il a amené le rap français au niveau international, collaborant avec des Rick Ross, Diddy et consorts. En somme, Booba est au rap français ce que Jay-Z est au rap US : le boss ultime. Même s’il divise parfois, sa place de numéro 1 dans ce classement coule de source. Le « Duc de Boulogne » siège sur le trône du rap depuis si longtemps qu’on voit mal qui pourrait le détrôner… En tout cas, pas aujourd’hui. Respect au patron !