
Il y a des aveux de fan qui sonnent comme des opérations de communication, et d’autres qui trahissent une mémoire intime de spectateur. Quand Paul Giamatti explique que son film Star Trek préféré est Star Trek IV : Retour sur Terre, ce n’est pas seulement un choix « sympathique » parce qu’il est consensuel. C’est un indice sur ce que l’acteur attend de la saga : une idée du futur qui passe paradoxalement par le détour de notre présent, une science-fiction capable de respirer, de plaisanter, et de parler d’éthique sans lever la voix.
La déclaration a d’autant plus de relief qu’elle arrive au moment où Giamatti rejoint l’univers Trek côté télévision, avec la série Star Trek: Starfleet Academy (diffusée sur Paramount+ à partir du 15 janvier 2026), dans un rôle qui semble taillé pour son mélange de précision et d’électricité : Nus Braka, pirate « super-prédateur » à l’identité hybride (mi-Klingon, mi-Tellerite). Une façon de rappeler que, dans Star Trek, le casting n’est jamais neutre : il raconte déjà une tonalité, un rapport à l’ambiguïté, et une promesse de jeu.
Ce qui frappe ici, c’est que Giamatti n’arrive pas en terrain inconnu. Dans une industrie où beaucoup d’interprètes entrent dans des franchises comme on rejoint une troupe – avec professionnalisme, parfois sans mythologie personnelle – il revendique une familiarité authentique avec la galaxie Star Trek. Et cela se traduit moins par un name-dropping que par une manière d’identifier des figures de vilains emblématiques, ces antagonistes qui ne sont pas seulement des obstacles narratifs, mais des miroirs idéologiques.
Pour composer Nus Braka, l’acteur dit s’être nourri d’ombres célèbres : Gul Dukat (Deep Space Nine) et le général Chang (Star Trek VI). Deux références qui en disent long. Dukat, c’est l’art de l’auto-justification, la séduction toxique, la rhétorique morale retournée comme un gant. Chang, c’est la théâtralité, le goût de la citation, la jubilation guerrière portée par une mise en scène presque opératique. Si Braka hérite de ces ADN-là, on peut s’attendre à un antagoniste qui ne se contente pas d’être “méchant”, mais qui joue avec les cadres : le droit, la survie, la reconstruction, et la narration elle-même.
Pour prolonger cette approche « personnage d’abord », on peut rapprocher cette tradition Trek de la galerie de criminels charismatiques qui font souvent monter la température dramatique : pas tant parce qu’ils seraient plus « forts » que les héros, mais parce qu’ils mettent à nu les contradictions d’un idéal. La Fédération n’est jamais aussi intéressante que lorsqu’elle est testée, fissurée, obligée de se reformuler.
Le choix de Star Trek IV : Retour sur Terre a quelque chose d’évident, donc “pas surprenant”, mais cette évidence mérite d’être pensée. Le film de Leonard Nimoy (1986) est souvent décrit comme une comédie “fish out of water” : l’équipage se retrouve dans l’Amérique contemporaine pour sauver des baleines à bosse. dit comme ça, on croirait un pitch léger, presque enfantin. En réalité, c’est un film qui comprend une chose rare : dans Star Trek, l’aventure cosmique n’a de sens que si elle revient frapper à la porte de l’humain.
Ce qui fait la force de ce quatrième film, c’est son rythme : il alterne l’urgence (le futur menacé) et le quotidien (la ville, ses frictions, ses absurdités), sans surligner la morale. La mise en scène joue la collision de deux mondes à travers des détails de comportement, de langage, de regard. Le spectateur n’a pas besoin qu’on lui explique l’écart : il le voit dans le cadre, dans la façon dont les corps se déplacent, dans l’art de faire naître une scène comique d’un protocole trop rigide face au réel.
Et puis il y a Spock : Giamatti insiste sur le comique de Spock, et on le comprend. C’est un humour de décalage, mais aussi un humour de précision. Le personnage devient un instrument de mise en scène, un métronome émotionnel : il fait rire parce qu’il ne “fait” pas rire, parce qu’il ne surjoue pas, parce qu’il demeure une énigme logique dans un monde social qui fonctionne à l’implicite.
Si l’on cherche une clé, elle est là : Retour sur Terre est un Star Trek qui retrouve l’esprit de la série originale – ce mélange de sérieux et de souplesse – sans s’enfermer dans l’affrontement frontal. Il n’y a pas de grand méchant, certes, mais il y a un antagonisme plus insidieux : l’aveuglement, la pollution, l’incapacité à entendre l’autre (au sens littéral comme au sens moral). L’ennemi, c’est une forme de surdité collective.
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La série Star Trek: Starfleet Academy s’inscrit dans un futur lointain : le 32e siècle, soit plusieurs siècles après les personnages historiques de la franchise. Le décor narratif est essentiel : après The Burn (cataclysme ayant provoqué l’explosion simultanée d’innombrables vaisseaux), la galaxie s’est retrouvée amputée de son infrastructure, de sa confiance, et d’une part de son imaginaire collectif. Là où Star Trek a longtemps été la fiction d’une expansion organisée, on est ici dans un récit de reconstruction.
Cinématographiquement, c’est un terrain fertile : la reconstruction est un mouvement, donc une dramaturgie. Elle implique des institutions fragiles, des mythes contestés, et des zones grises où les criminels prospèrent. Nus Braka s’insère exactement dans ce vide : un pirate qui profite de la désagrégation, mais dont le charme peut aussi traduire une vérité dérangeante – quand l’État s’effondre, la “contre-société” invente ses propres règles.
La série semble également jouer une carte intéressante : Braka aurait un lien avec Caleb, un étudiant humain. Ce type de relation (mentor tordu, attache familiale honteuse, dette, passé effacé) est un outil narratif classique, mais redoutablement efficace s’il est traité avec mesure : il permet d’explorer la violence non comme spectacle, mais comme héritage, contamination, tentation.
Sur ce versant “école” et “formation”, il y a aussi quelque chose de très Trek : l’idée que l’éthique s’apprend, qu’elle se transmet, qu’elle se dispute. Une académie n’est jamais un décor neutre ; c’est un théâtre de valeurs. Plus d’éléments sur l’actualité culturelle liée à ces thématiques sont disponibles ici : https://www.nrmagazine.com/?p=14263.
Giamatti cite aussi sa série favorite : Deep Space Nine. Là encore, le choix n’a rien d’excentrique, mais il est révélateur. DS9, c’est le moment où Star Trek accepte une tonalité plus stratifiée : les compromis, la diplomatie sale, la guerre, la propagande, les traumatismes. Ce n’est pas l’abandon de l’utopie, c’est sa mise en crise. Et pour un acteur comme Giamatti – qui a souvent excellé dans des personnages de parole, de friction, de calcul émotionnel – ce terrain-là est naturellement stimulant.
On comprend mieux, dès lors, la cohérence entre DS9 et Retour sur Terre : dans les deux cas, Star Trek est moins un récit de “victoire” qu’un récit de négociation. Négociation avec une époque (1986), avec une institution (la Fédération en ruines), avec un adversaire (qui n’est pas toujours une personne). Cette idée, en cinéma, est précieuse : elle remplace le duel par le débat, l’explosion par le choix, la posture héroïque par une responsabilité partagée.
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Il y a un paradoxe délicieux : Giamatti s’apprête à incarner un antagoniste haut en couleur, et son film Trek de chevet est celui qui se passe presque de “méchant”. Cela n’a rien d’incohérent. Un bon acteur sait qu’un personnage menace plus qu’il n’agresse ; il fascine plus qu’il ne hurle. Et Star Trek, lorsqu’il est au meilleur de lui-même, se méfie du manichéisme : il préfère les systèmes aux monstres, les dilemmes aux procès.
Pourtant, la franchise a aussi une tradition de vilains “à personnalité”, parfois excessifs, parfois jouissifs. Ce sont des figures de théâtre, des catalyseurs de rythme : ils accélèrent la narration, densifient le conflit, donnent aux héros une surface contre laquelle réfléchir. Le danger, évidemment, serait de réduire l’enjeu à un simple numéro d’acteur. Mais Giamatti a souvent cette intelligence du dosage : être menaçant sans être caricatural, aimable sans devenir inoffensif.
Dans un paysage sériel contemporain souvent tenté par le grimdark uniforme, on peut espérer que Starfleet Academy trouve une couleur plus contrastée : de la noirceur, oui, mais aussi une forme de curiosité, d’élan, de possibilités. Pour suivre d’autres analyses et sujets connexes autour des sorties et tendances actuelles, on peut également passer par : https://www.nrmagazine.com/?p=14745.
Retour sur Terre a longtemps été l’un des plus gros succès commerciaux de la saga. Ce fait, souvent cité comme une anecdote, mérite une lecture critique : s’il a autant touché, c’est peut-être parce qu’il simplifie l’accès sans simplifier le propos. Le film “ouvre la porte” : nul besoin d’être expert en chronologie spatiale pour comprendre l’urgence, l’affection du groupe, et l’idée fondamentale qu’une civilisation se juge à sa capacité d’attention au vivant.
Le cinéma de franchise oublie parfois cette évidence : la lisibilité n’est pas l’ennemie de la complexité. Tout est affaire de mise en scène : comment on fait circuler une information, comment on crée une empathie, comment on installe une règle du monde sans l’énoncer comme un mode d’emploi. Sur ce point, Star Trek IV reste une leçon de fluidité narrative, et le choix de Giamatti ressemble moins à une nostalgie qu’à une reconnaissance de cette mécanique-là.
Dernier détail savoureux : les baleines ne disparaissent pas de l’horizon Trek, puisqu’on annonce leur présence également dans Starfleet Academy. Clin d’œil, certes, mais pas seulement : un rappel que l’univers Star Trek se construit aussi par motifs, par résonances, par retours symboliques. Pour poursuivre la réflexion via un autre angle éditorial, ce lien peut servir de complément : https://www.nrmagazine.com/?p=13611.
Dire que son film préféré est “celui avec les baleines”, c’est accepter qu’une grande saga de science-fiction puisse se définir par un geste simple : revenir sur Terre, regarder la rue, écouter le vivant, et faire confiance à l’humour pour désamorcer la solennité. C’est peut-être cela, au fond, qui rend le choix de Giamatti si peu surprenant : Star Trek n’a jamais été uniquement une promesse de spectacle. C’est une manière de reformuler le présent sous un autre éclairage — et de vérifier, plan après plan, si notre futur mérite d’être imaginé.