Mannequins grande taille dans les défilés : une présence trop rare
Le monde de la mode connaît depuis quelques années une remise en question de ses standards de beauté, longtemps focalisés sur la minceur extrême. Si la diversité ethnique a progressé sur les podiums, la représentation des morphologies plus rondes reste encore minoritaire lors des Fashion Weeks. Plongée dans les coulisses d’une industrie qui peine à s’ouvrir aux corps plus size, entre avancées timides et résistances tenaces.
État des lieux : une évolution en demi-teinte
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : lors de la dernière Fashion Week printemps-été, sur près de 10 000 looks présentés à New York, Londres, Milan et Paris, seuls 0,9% des mannequins étaient considérés comme plus size, c’est-à-dire au-delà d’une taille 46 française. Un pourcentage qui stagne depuis plusieurs saisons, malgré les appels à davantage d’inclusivité.
Pourtant, les mentalités semblent évoluer, du moins dans le discours. De plus en plus de créateurs et de marques affirment vouloir représenter tous les corps. Mais entre les déclarations d’intention et la réalité des castings, l’écart reste important.
Un progrès notable sur la diversité ethnique
Si la diversité morphologique peine à s’imposer, la diversité ethnique a en revanche fait de réels progrès ces dernières années. Les podiums reflètent désormais davantage la pluralité des origines, avec une présence accrue de mannequins noirs, asiatiques ou métisses.
Cette évolution répond à une demande du public mais aussi à des impératifs commerciaux, les marques cherchant à séduire une clientèle internationale. La mode ne peut plus se permettre de ne représenter qu’un seul type de beauté occidentale.
La taille 36 reste la norme
Malgré cette ouverture ethnique, le diktat de la minceur perdure. La taille 36 reste le standard pour l’immense majorité des défilés, notamment ceux des grandes maisons de luxe. Les mannequins aux formes plus généreuses sont cantonnés à quelques marques engagées ou à des événements spéciaux « grande taille ».
Cette situation crée un décalage croissant entre les podiums et la réalité des consommatrices. En France, la taille moyenne des femmes est en effet plus proche du 40-42. Un fossé qui interroge sur la capacité de la mode à refléter la société.
Taille | Pourcentage de mannequins |
---|---|
34-36 | 95,2% |
38-40 | 3,9% |
42 et + | 0,9% |
Les freins à l’inclusivité dans la mode
Comment expliquer cette résistance du milieu de la mode à intégrer davantage de mannequins plus size ? Plusieurs facteurs entrent en jeu, mêlant considérations esthétiques, techniques et économiques.
Le poids de l’héritage culturel
La minceur est associée depuis des décennies à l’élégance et au luxe dans l’imaginaire de la mode. Ce standard s’est imposé dès les années 1920 et s’est renforcé dans les années 1960 avec des icônes comme Twiggy. Rompre avec cet héritage ne se fait pas du jour au lendemain.
De nombreux créateurs restent attachés à une silhouette filiforme, qu’ils jugent plus propice à mettre en valeur leurs vêtements. L’idée que « les vêtements tombent mieux » sur un corps mince reste répandue, même si elle est de plus en plus contestée.
Des contraintes techniques
L’intégration de mannequins plus size pose aussi des défis pratiques aux marques. Les prototypes et échantillons sont traditionnellement réalisés en taille 36, ce qui nécessite un travail supplémentaire d’adaptation pour les morphologies plus rondes.
Certaines maisons évoquent également la difficulté à trouver des mannequins grande taille correspondant à leurs critères en termes de démarche ou d’expérience du podium. Un argument qui tend cependant à s’effriter avec l’émergence de nouvelles générations de mannequins plus size professionnels.
La peur du changement
Au-delà de ces aspects pratiques, c’est parfois une forme de conservatisme qui freine l’évolution. Certaines marques craignent de perdre leur image « exclusive » en s’ouvrant à des morphologies plus diverses. Une peur infondée selon les défenseurs de l’inclusivité, qui estiment au contraire que la diversité renforce l’attrait d’une marque auprès d’un public plus large.
Il faut aussi compter avec l’inertie d’un système bien rodé. Les agences de mannequins, les directeurs de casting, les stylistes sont habitués à travailler avec un certain type de silhouette. Modifier ces habitudes demande du temps et de la volonté.
Les pionniers de l’inclusivité
Malgré ces résistances, des voix s’élèvent pour promouvoir une mode plus inclusive. Designers, mannequins et influenceurs militent pour une représentation plus fidèle de la diversité des corps.
Des créateurs engagés
Quelques créateurs ont fait de l’inclusivité leur marque de fabrique. C’est le cas de Christian Siriano, qui intègre systématiquement des mannequins plus size à ses défilés depuis 6. Sa démarche a inspiré d’autres marques, même si le mouvement reste encore minoritaire.
En Europe, on peut citer Ester Manas, dont les collections sont pensées pour s’adapter à toutes les morphologies. La créatrice belge milite pour une mode « size-free » qui transcende les catégories de tailles.
L’impact des mannequins stars
L’émergence de mannequins plus size célèbres a contribué à faire évoluer les mentalités. Des figures comme Ashley Graham ou Paloma Elsesser ont réussi à s’imposer dans le milieu très sélectif de la mode haut de gamme, ouvrant la voie à d’autres.
Leur présence sur les podiums des grandes maisons, même si elle reste encore ponctuelle, a un fort impact médiatique. Elle montre qu’une autre représentation de la beauté est possible et appréciée du public.
Le rôle des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dans l’émergence du mouvement body positive. Ils ont permis à des voix diverses de se faire entendre et de remettre en question les standards de beauté traditionnels.
De nombreux influenceurs plus size utilisent ces plateformes pour promouvoir l’acceptation de soi et la diversité corporelle. Leur influence grandissante pousse les marques à reconsidérer leurs stratégies de communication et de représentation.
Mannequin | Nombre de followers Instagram | Marques collaboratrices |
---|---|---|
Ashley Graham | 13,5 millions | Michael Kors, Fendi, Dolce & Gabbana |
Paloma Elsesser | 568 000 | Fenty, Lanvin, Salvatore Ferragamo |
Jill Kortleve | 260 000 | Chanel, Valentino, Jacquemus |
Les enjeux économiques de l’inclusivité
Au-delà des considérations éthiques, l’inclusivité représente un enjeu économique majeur pour l’industrie de la mode. Le marché de la mode grande taille est en pleine expansion et offre de réelles opportunités de croissance.
Un marché en plein essor
Selon une étude de Marketdata Enterprises, le marché mondial de la mode grande taille devrait atteindre 39,4 milliards de dollars en 2025, avec une croissance annuelle de 4,3%. Des chiffres qui montrent l’intérêt croissant des consommateurs pour une offre plus inclusive.
Cette tendance s’explique notamment par l’évolution des mentalités et la demande d’une représentation plus fidèle de la diversité des corps. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à vouloir s’identifier aux modèles qu’ils voient dans les publicités et les défilés.
L’adaptation des marques
Face à cette demande, de plus en plus de marques élargissent leur gamme de tailles. Certaines enseignes de fast fashion comme H&M ou Zara ont lancé des collections plus size, tandis que des marques spécialisées comme Eloquii ou Universal Standard connaissent un succès croissant.
Le luxe commence également à s’ouvrir à ce marché, même si le mouvement est plus timide. Des maisons comme Dolce & Gabbana ou Versace ont récemment élargi leur offre de tailles, reconnaissant le potentiel de ce segment.
Les défis de la production
L’intégration de tailles plus grandes pose cependant des défis en termes de production. Les patrons doivent être repensés pour s’adapter harmonieusement à différentes morphologies, ce qui demande un travail supplémentaire de conception et de prototypage.
La gestion des stocks devient également plus complexe avec une gamme de tailles élargie. Les marques doivent trouver le bon équilibre pour répondre à la demande sans générer trop d’invendus.
L’impact sociétal de la représentation
Au-delà des enjeux économiques, la question de la représentation des corps dans la mode a un impact sociétal profond. Elle influence la perception de soi et les standards de beauté dans la société.
L’influence sur l’estime de soi
De nombreuses études ont montré l’impact négatif d’une représentation uniforme et irréaliste des corps sur l’estime de soi, en particulier chez les jeunes. La pression pour correspondre à un idéal inatteignable peut mener à des troubles de l’image corporelle voire à des troubles alimentaires.
À l’inverse, une représentation plus diverse et inclusive peut avoir un effet positif sur l’acceptation de soi. Voir des corps variés célébrés comme beaux et désirables aide à élargir les critères de beauté et à valoriser la diversité naturelle des morphologies.
Le rôle éducatif de la mode
La mode, en tant que vecteur culturel puissant, a un rôle éducatif à jouer dans la promotion de la diversité corporelle. En montrant une variété de silhouettes sur ses podiums et dans ses campagnes, elle peut contribuer à normaliser différents types de corps.
Cette responsabilité est de plus en plus reconnue par les acteurs du secteur. Certaines marques intègrent désormais des messages body positive dans leur communication, encourageant l’acceptation de soi et la confiance en son corps quel que soit son poids.
Le débat sur la santé
L’inclusion de mannequins plus size soulève parfois des débats sur la santé. Certains critiques craignent qu’une trop grande valorisation des corps ronds ne fasse l’apologie du surpoids, dans un contexte d’augmentation de l’obésité.
Les défenseurs de l’inclusivité répondent que la santé ne se résume pas au poids et qu’il est possible d’être en bonne santé avec des morphologies diverses. Ils plaident pour une approche plus holistique du bien-être, qui prenne en compte la santé mentale autant que physique.
Les initiatives pour plus d’inclusivité
Face à la demande croissante pour plus de diversité, diverses initiatives ont vu le jour pour promouvoir l’inclusivité dans la mode.
Les Fashion Weeks alternatives
Des événements dédiés à la mode grande taille se sont développés en marge des Fashion Weeks traditionnelles. C’est le cas de la « The Curve Fashion Festival » à Londres ou de la « Full Figured Fashion Week » à New York.
Ces événements offrent une plateforme aux créateurs et aux mannequins plus size, contribuant à leur visibilité et à leur professionnalisation. Ils attirent une attention médiatique croissante, même s’ils restent encore marginaux par rapport aux semaines de la mode classiques.
Les chartes d’engagement
Certains pays ont mis en place des chartes d’engagement pour promouvoir la diversité dans la mode. En France, une charte contre l’anorexie a été signée en 7 par les principaux groupes de luxe, s’engageant notamment à ne pas faire défiler de mannequins trop maigres.
Si ces initiatives ont permis de faire évoluer les pratiques, notamment en termes de santé des mannequins, elles n’ont pas encore abouti à une réelle diversité des morphologies sur les podiums.
La formation des professionnels
Des programmes de formation se développent pour sensibiliser les professionnels de la mode à l’inclusivité. Ils visent à faire évoluer les mentalités et les pratiques, de la conception des vêtements au casting des défilés.