
Il y a des films qui n’ont pas besoin d’élever la voix pour marquer. Is This Thing On ? appartient à cette famille rare : une œuvre qui avance à hauteur d’homme, au rythme des journées qui se réorganisent après une rupture, et qui finit pourtant par résonner longtemps. On vient souvent à ce film attiré par un visage familier, celui de Will Arnett, associé depuis des années à la comédie et à une voix immédiatement reconnaissable. On en ressort avec autre chose : l’impression d’avoir vu un acteur déposer ses réflexes comiques au bord du cadre pour s’aventurer dans une zone plus nue, plus risquée, plus durable.
Réalisé par Bradley Cooper, Is This Thing On ? se présente comme une comédie dramatique centrée sur un couple récemment divorcé : Alex (Arnett) et Tess (Laura Dern). Le film s’intéresse moins à la séparation comme événement qu’à ses ondes de choc : la coparentalité, la logistique affective, les egos froissés, les phrases qu’on regrette dès qu’elles sortent, et ces petites loyautés qui persistent malgré tout. Le récit travaille la matière ingrate du “juste après”, quand on croit avoir pris une décision claire — divorcer — sans mesurer toutes les implications concrètes, sociales, intimes, jusqu’aux plus triviales.
Cooper, ici, semble volontairement éloigné d’une mise en scène “prestige”. Pas de démonstration, pas de grand dispositif. L’ambition est ailleurs : dans la précision des situations, la manière dont un dialogue peut faire basculer une scène, et le soin porté à la circulation des émotions. C’est un film qui rappelle, par sa modestie apparente, ces projets indépendants capables de toucher leur vérité en se tenant à distance des mécanismes trop écrits.
La force du film tient d’abord à ce qu’il propose à Will Arnett une trajectoire intérieure crédible. Alex est un homme en reconstruction, pas un symbole. Il traverse une période où l’identité se fragmente : père, ex-mari, adulte “stable” qui ne se sent plus si stable. Le scénario lui offre une échappée inattendue : une soirée, un concours de circonstances, et le voilà sur une scène d’open mic, comme si l’humour devenait une béquille possible — un lieu où transformer le chaos en récit, l’angoisse en rythme, la honte en anecdote.
Ce qui frappe, c’est la façon dont Arnett utilise ce qu’on connaît de lui — le sens du timing, l’ironie, la vivacité — non pas pour “faire rire”, mais pour se protéger. Son jeu suggère un homme qui blague comme on retient un sanglot. Puis, à mesure que le stand-up avance, quelque chose se fissure : l’acteur laisse passer des silences, des regards fuyants, des micro-variations de posture. La comédie n’est plus un masque brillant, mais une méthode d’auscultation. Arnett devient particulièrement juste lorsqu’il ne cherche pas l’effet : quand la voix hésite, quand la phrase se termine trop tôt, quand le corps trahit une fatigue qu’aucun bon mot ne peut effacer.
Face à lui, Laura Dern trouve un registre d’une grande justesse, fait de retenue et d’éclats brefs. Tess n’est pas seulement “l’ex” : elle réapprend à se définir hors du couple, à imaginer une trajectoire professionnelle qui renoue avec un passé qu’elle avait mis entre parenthèses. Le film évite le piège de la rivalité caricaturale : Tess n’est ni antagoniste ni caution morale. Elle est, comme Alex, une personne qui découvre que la liberté a un prix — et que la lucidité ne rend pas les choses plus simples.
Dern excelle dans ces moments où une émotion contradictoire traverse le visage : un rictus de défense qui se change en tristesse, un agacement qui cache la peur, une fierté qu’on n’ose pas afficher. C’est précisément parce que le film s’autorise ces nuances qu’il touche juste : la séparation ne supprime pas l’attachement, elle le reconfigure, parfois de manière cruelle.
Le moteur secret de Is This Thing On ?, c’est la chimie entre Arnett et Dern. Le film observe leur langage commun : les piques, les réflexes, les petites cruautés prononcées trop vite, ces phrases qui ressemblent à des détails mais contiennent toute une histoire. Une scène, en apparence minuscule, illustre cette précision : une demande de garde improvisée, une réaction qui se sent prise au piège, un “tu crains” lancé comme un verdict, et la réplique du même calibre, rendue moins drôle que douloureuse par la manière dont elle est traversée d’orgueil blessé. Tout se joue en quelques secondes, mais on a l’impression d’assister à une décennie de non-dits qui remonte à la surface.
Cette écriture des frictions — et surtout cette capacité à filmer les transitions rapides, du tendre au sec, du rire à la dispute — donne au film une couleur très reconnaissable : une intimité sans joliesse forcée. On n’est pas dans la scène “déjà vue” du divorce au cinéma ; on est dans la texture des jours, là où les sentiments ne se présentent jamais séparément.
Cooper filme ce récit avec une simplicité qui n’a rien de paresseux. Il privilégie un dispositif frontal : des plans rapprochés tenus plus longtemps qu’on ne s’y attend, comme s’il refusait de couper au moment où l’acteur commence à “déborder”. Dans les séquences de stand-up, ce choix devient crucial : le cadre s’accroche au visage d’Arnett, laisse exister l’inconfort, la montée de la panique, la recherche fébrile du bon rythme. Le spectateur n’est pas seulement témoin d’une performance, il partage l’expérience d’être sur scène — cette attente du rire, ce vertige quand il ne vient pas, ce soulagement quand il arrive.
Le même principe s’applique à Tess lorsque, par hasard, elle se retrouve à assister à l’un des passages d’Alex. Cooper tient le visage de Dern et enregistre ce qui, d’ordinaire, échappe : les micro-réactions, la résistance, l’irritation, puis, presque malgré elle, une forme de fierté ou de tendresse qui affleure. La mise en scène n’explique pas : elle observe. Et dans un film sur le divorce, observer — sans juger, sans trancher — est déjà une position morale forte.
Le film ne romantise pas la scène comique. Il montre plutôt ce qu’elle peut représenter pour un homme comme Alex : un espace où la douleur devient racontable, où l’on tente de reprendre le contrôle d’un récit personnel. Mais cette “thérapie” reste ambivalente : monter sur scène, c’est aussi s’exposer, chercher une validation extérieure, convertir des blessures en “matériel”. Le film est subtil lorsqu’il suggère la ligne fragile entre l’aveu et l’exploitation de soi.
En tant que cinéaste amateur, je suis sensible à cette manière de traiter la création comme un geste de survie, pas comme un destin glorieux. Ici, écrire des blagues et les tester n’a rien d’une success story : c’est une discipline, un bricolage, une répétition, et parfois une fuite. Le film sait que l’art, même modeste, peut aider — sans réparer entièrement.
Autour du duo central, le film s’appuie sur un ensemble de personnages secondaires qui donnent de l’air au récit. Les amis du couple, aux profils variés, servent moins à “faire des vannes” qu’à refléter différentes manières de vieillir, d’aimer, de se mentir. Les parents d’Alex, entre inquiétude et maladresse, ajoutent une couche générationnelle : le divorce n’est jamais seulement une affaire de deux personnes, il reconfigure une constellation.
Et surtout, le film accorde une vraie place aux enfants. Sans forcer le pathos, il montre leur incompréhension, leur curiosité, leurs tentatives pour recoller les morceaux d’un monde qui s’est déplacé. Les jeunes acteurs apportent une justesse précieuse, parce qu’ils ne “commentent” pas le drame : ils le vivent par fragments, par questions, par silences.
Is This Thing On ? est attentif aux signes minuscules : un appartement qui n’a pas encore l’air “habité”, une routine de salle de bain qui se répète ailleurs, un objet identique qui déclenche une émotion disproportionnée. Ce sont ces continuités matérielles — les mêmes gestes dans deux lieux séparés — qui rappellent que la rupture n’efface pas la vie commune, elle la disperse. Le cinéma, quand il s’intéresse à ces détails, devient terriblement juste : une brosse à dents, une chanson fredonnée, un regard dans une douche suffisent à raconter ce que des pages de dialogue expliciteraient trop lourdement.
Le film réussit là où beaucoup de drames “drôles” trébuchent : il ne force ni le rire ni les larmes. Les passages comiques naissent souvent d’une gêne réaliste, de l’écart entre ce qu’on voudrait être et ce qu’on est, de la maladresse des adultes quand ils tentent de rester dignes. Et lorsque l’émotion arrive, elle n’a pas besoin d’être soulignée : elle vient d’un enchaînement, d’une accumulation de petites défaites, d’un moment où la colère est simplement trop fatiguée pour continuer.
Ce mélange peut diviser : certains spectateurs chercheront un récit plus “accrocheur”, une montée dramatique plus nette. Ici, le film préfère la variation à l’escalade, la circulation à l’explosion. C’est un choix cohérent, mais exigeant : accepter de regarder des gens ordinaires se débattre sans que le cinéma ne leur offre un raccourci spectaculaire.
Dans la filmographie de Bradley Cooper réalisateur, Is This Thing On ? apparaît comme un mouvement inverse : moins “grand récit”, plus proximité. On pense à une tradition américaine de films intimes qui privilégient l’observation des relations et le poids des non-dits, plutôt qu’une intrigue à tiroirs. Le film évoque cette veine où le montage se met au service du jeu, où le cadre laisse les acteurs respirer, où l’on accepte une temporalité moins narrative et plus émotionnelle.
Pour Arnett, c’est aussi une étape intéressante : le comédien qu’on croyait cantonné à un registre (même s’il l’a souvent dépassé, notamment en voix et en animation) trouve ici un terrain où sa persona se retourne contre lui. Son humour ne disparaît pas ; il devient le symptôme d’une fragilité. Et c’est précisément ce déplacement qui rend la performance mémorable.
Le divorce, dans Is This Thing On ?, n’est pas traité comme une simple fin mais comme une révision permanente : réviser son rôle de parent, son rapport au désir, son image sociale, et même sa capacité à être seul. Le film esquisse aussi une idée rarement formulée avec autant de tact : parfois, on se sépare en croyant choisir la paix, et l’on découvre une autre forme de conflit — plus diffuse, plus administrative, plus intérieure.
La relation entre Alex et Tess évolue dans une zone grise, faite d’attirance persistante et d’irritation tenace, comme si l’amour ne savait pas où se poser une fois le couple dissous. Le film ne moralise pas cette ambiguïté : il la constate, et laisse le spectateur en éprouver l’étrangeté.
La principale “résistance” du film est aussi sa qualité : il exige une attention tranquille. Peu d’effets, peu de scènes conçues comme des morceaux de bravoure (même si les gros plans en deviennent, à leur manière). Il faut accepter un cinéma où l’on écoute les respirations, où le non-dit compte autant que la réplique. C’est typiquement le genre de film qui perd de sa force si on le consomme distraitement, entre deux notifications. Il récompense au contraire une présence entière, parce qu’il est bâti sur des micro-événements.
Dans cette perspective, je conseille de l’aborder comme on aborderait une conversation importante : sans chercher à “cocher” une intrigue, mais en se demandant ce que chaque scène déplace en nous.
Le film s’inscrit dans un paysage où les spectateurs naviguent sans cesse entre récits intimes et grandes machines culturelles. Cette cohabitation n’est pas un défaut : elle dit quelque chose de notre époque, où l’on peut passer d’un drame familial à une discussion sur un casting de blockbuster en quelques secondes. D’ailleurs, si l’envie vous prend de mesurer cet écart, on peut sourire de ce contraste en allant lire, à côté, des sujets plus “industrie” et imaginaire collectif, comme cette spéculation autour du prochain antagoniste de 007 : https://www.nrmagazine.com/le-prochain-mechant-de-james-bond-une-star-musicale-recompensee-aux-grammy-awards/.
Le cinéma vit aussi de ces échos : une référence subtile glissée dans une franchise, une connivence qui n’écrase pas le récit. À ce titre, l’idée qu’un réalisateur puisse déposer un signe discret au détour d’un plan me fait penser à cette lecture autour d’un clin d’œil à une mythologie bien connue : https://www.nrmagazine.com/le-realisateur-de-the-last-jedi-glisse-une-reference-subtile-a-star-wars-dans-knives-out-3/. Dans Is This Thing On ?, les “références” sont d’un autre ordre : ce sont des objets, des habitudes, des intonations. Mais le principe reste le même : le détail a un pouvoir de récit.
Ce film rappelle une évidence qu’on oublie : certains récits ne fonctionnent que si l’on accepte leur tempo. Cela pose une question très actuelle, presque “technique” : comment préserver l’attention, comment éviter la dispersion ? J’y pense souvent comme on pense à l’architecture d’un réseau : tout dépend de la qualité des flux, des priorités, de ce qui coupe ou non. L’analogie peut sembler étrange, mais elle éclaire notre rapport au visionnage. Sur ce point, un détour par des problématiques de circulation et d’optimisation de données peut être étonnamment parlant, par exemple via https://www.nrmagazine.com/sd-wan-vs-mpls/.
De la même manière, nos bibliothèques de souvenirs fonctionnent avec des doublons, des fragments répétés, des scènes qui reviennent. Un film sur le divorce, c’est aussi ça : une mémoire qui se re-classe, qui “déduplique” ce qui faisait couple, et qui tente de réordonner le reste. Cette image m’évoque, de façon métaphorique, des sujets comme l’optimisation et la déduplication : https://www.nrmagazine.com/optimisation-deduplication-bases/.
Et puis il y a la question de ce qu’on protège, de ce qu’on révèle, de ce qu’on pense pouvoir contrôler — dans une famille, comme dans une société. La séparation met à nu des informations sensibles : les fragilités, les dépendances, les mensonges, les besoins. Là encore, par un autre chemin, on retombe sur une notion centrale de notre temps : la sécurité de ce qui compte. Pour prolonger cette réflexion sous un angle différent : https://www.nrmagazine.com/enjeux-securite-information/.
Is This Thing On ? ne donne pas au divorce une forme nette, ni au couple une définition stable. Il regarde plutôt comment deux personnes apprennent à se parler autrement, à se heurter différemment, à se désirer peut-être, sans pouvoir effacer ce qui a cassé. Le film pose alors une question simple, mais difficile : quand une relation change de statut, qu’est-ce qui meurt vraiment — et qu’est-ce qui persiste, sous une autre forme, malgré nous ?