
Il y a des bandes-annonces qui résument un film, et d’autres qui ouvrent un territoire. Celle de L’Odyssée version Christopher Nolan appartient clairement à la seconde catégorie : une promesse d’ampleur, mais surtout une question posée au spectateur avant même la première image “utile” au récit. Comment filmer l’un des textes fondateurs du récit occidental sans le réduire à un simple enchaînement d’épreuves spectaculaires ? Et, inversement, comment assumer le mythe sans le “rationaliser” jusqu’à l’assécher ?
La première bande-annonce, attendue après un teaser volontairement opaque projeté en amont de certaines séances cet été, définit déjà une ligne : le film ne cherchera pas uniquement l’aventure, il cherchera la matière de l’aventure. Le sel, la fatigue, le bois humide des navires, la violence comme une friction plus que comme un ballet. On reconnaît immédiatement une grammaire nolanienne — le goût du concret, du poids, de l’architecture — mais déplacée vers un imaginaire antique dont le cinéma a souvent fait soit de la carte postale, soit de l’opéra.
On oublie parfois que Nolan a longtemps été associé à des récits modernes, urbains, technologiques, alors même que sa filmographie travaille surtout une obsession : la construction du mythe. Qu’il filme un magicien, un milliardaire masqué, un physicien ou une guerre, il revient sans cesse à la manière dont une société fabrique des figures, puis les paie de sa peur ou de son admiration.
Avec L’Odyssée, il s’attaque à un récit qui n’a pas besoin de lui pour être légendaire. Et c’est précisément là que la bande-annonce intrigue : au lieu d’un “musée du mythe”, elle suggère un film qui voudrait tester, au présent, la résistance d’un texte ancien à nos sensibilités contemporaines. Le film est annoncé en salles pour le 17 juillet 2026, et cette date compte : Nolan continue de penser le cinéma comme un événement de salle, un rendez-vous collectif, presque rituel.
La bande-annonce met en avant un atout évident : une distribution dense, immédiatement reconnaissable, à la manière d’Oppenheimer. Matt Damon incarne Ulysse, avec cette évidence paradoxale : son visage porte déjà l’expérience des récits de survie et d’intelligence tactique. On pense à sa capacité à jouer l’homme qui calcule sans se vanter de calculer, l’action héros qui ne se prend pas pour un héros. Pour un Ulysse défini par la ruse, c’est un choix cohérent, presque “silencieux”.
À ses côtés, Anne Hathaway prête son élégance et son tranchant à Pénélope. Le montage du trailer, sans en révéler trop, semble lui accorder une place qui dépasse l’épouse en attente : on devine une énergie de personnage, une tension politique domestique, un espace mental. La présence de Tom Holland en Télémaque intrigue aussi : le récit d’apprentissage est inscrit dans l’ADN du personnage, et Nolan a souvent filmé des figures en quête d’un père — ou d’une vérité paternelle — sans jamais réduire cela à un simple ressort psychologique.
La question, avec un casting aussi “prestige”, n’est pas la qualité des interprètes, mais la gestion du regard : le spectateur verra-t-il les personnages, ou verra-t-il des stars costumées ? La bande-annonce semble répondre par une stratégie simple : ancrer les corps, salir les visages, densifier les textures. Chez Nolan, l’iconographie ne suffit pas, il lui faut la sensation physique d’une situation.
Le point le plus excitant — et le plus risqué — tient dans cette rencontre entre l’obsession nolanienne du réel tangible (effets pratiques, décors massifs, goût pour la prise “physique”, culte de la pellicule) et une matière narrative tissée de divin, de monstres, d’enchantements, de métamorphoses.
Or, la bande-annonce confirme que le film n’évacue pas le mythologique. On y reconnaît la présence d’Athéna (incarnée par Zendaya) et de Circé (incarnée par Charlize Theron). Deux figures qui, au cinéma, obligent à choisir : soit l’on assume le surnaturel, soit on le transforme en allégorie psychologique. Nolan, lui, pourrait tenter une troisième voie : rendre le fantastique crédible non pas en l’expliquant, mais en le mettant en scène comme une expérience. Non pas “croire” aux dieux, mais ressentir ce que signifie vivre dans un monde où le divin est une force narrative quotidienne, presque météorologique.
Ce qui affleure déjà dans le trailer, c’est une logique de mise en scène : le merveilleux, s’il surgit, devra avoir une masse, une inertie, quelque chose qui pèse sur les choix. Nolan filme rarement l’irréel comme un simple spectacle : il le filme comme une contrainte. Et L’Odyssée, récit de contraintes successives, lui tend un terrain idéal.
Ce qui frappe dans cette première vraie bande-annonce, c’est son refus de surligner l’émotion. Le montage n’appuie pas, il suggère. Le rythme n’est pas celui de la “montée” publicitaire classique, mais celui d’une progression par blocs, à la manière d’une épopée qui se construit plan après plan, escale après escale.
On y sent une volonté de cadrer l’antique sans l’illustrer : roches, horizons marins, architectures qui ne cherchent pas le pittoresque mais la fonction. Nolan, cinéaste de l’espace et des volumes, semble trouver dans la Méditerranée une nouvelle géométrie : non plus la ville verticale, mais la ligne d’horizon comme sentence. Pour un cinéaste amateur comme moi, c’est aussi l’un des enseignements les plus stimulants : l’épique naît moins des foules que de la lisibilité du trajet. Faire sentir la distance, c’est déjà raconter.
La bande-annonce, même si elle reste prudente, laisse présager un travail sonore central : le fracas des éléments, les silences, la respiration des scènes, la puissance du hors-champ. Chez Nolan, le son est souvent un moteur de narration, un outil de tension et de perception. Dans un récit de navigation, de tempêtes, de chants et d’avertissements, la dimension sonore pourrait devenir l’équivalent moderne du vers homérique : une scansion, une poussée.
Le projet s’inscrit dans une idée assez rare à Hollywood : faire un grand film classique avec des outils contemporains, non pas pour “moderniser” le mythe, mais pour tester ce que la technologie permet aujourd’hui en termes d’immersion, de précision de mise en scène, de chorégraphie du réel, sans renoncer à la matérialité.
Nolan aurait évoqué, dans l’esprit, une filiation avec une certaine tradition de l’aventure et des effets spéciaux artisanaux, à la manière des films qui faisaient exister des créatures image par image, par la patience et l’invention. Cette référence n’est pas anecdotique : elle dit une nostalgie active, pas un repli. Une volonté de retrouver la sensation d’un fantastique “fait main”, mais soutenu par les moyens d’aujourd’hui.
À titre personnel, je trouve intéressant de penser cette ambition comme une sorte de cuisine : quand le cinéma redevient un art des ingrédients, des textures, du temps de cuisson. D’ailleurs, la Grèce n’est pas qu’un décor de marbre ; c’est aussi un imaginaire quotidien, charnel, culinaire. Ceux qui aiment relier cinéma et culture matérielle peuvent s’amuser de ce détour par une moussaka “vraie”, dont la logique de couches et de patience évoque presque le montage d’une épopée : https://www.nrmagazine.com/moussaka-authentique-cuisine-grecque/
Il y a une ligne qui relie Ulysse aux grands personnages de Nolan : des hommes définis par leur méthode. Ulysse n’est pas le plus fort, c’est le plus adaptable. Batman, chez Nolan, n’est pas un surhomme, c’est un système : une discipline, une mise en scène de soi. Même Oppenheimer, dans un registre radicalement différent, est filmé comme un nœud de contradictions qui se déploie dans une structure narrative.
La bande-annonce semble indiquer que L’Odyssée sera moins une suite de “monstres à vaincre” qu’un récit d’intelligence en mouvement : comment survivre, comment négocier, comment mentir, comment tenir. En cela, le film pourrait dialoguer avec d’autres grands récits populaires de retour, de vengeance et de reconstruction identitaire. Je pense à l’attrait persistant des grandes fictions-feuilletons, et, côté cinéma, au plaisir très français du romanesque. Si ce type de trajectoire vous parle, la lecture d’une critique récente sur une autre figure de l’épopée personnelle peut enrichir le regard : https://www.nrmagazine.com/comte-monte-cristo-critique/
Le péplum a souvent un problème : il croit que l’épique est un genre d’images (colonnes, foules, cuirasses) alors que l’épique est d’abord un rythme. La bande-annonce de Nolan semble consciente de ce piège. Elle montre des fragments, mais surtout une dynamique : départs, attentes, retours différés. L’épopée, ici, ne serait pas un décor, mais une durée.
C’est là que Nolan peut être à la fois précieux et contestable. Précieux, parce qu’il sait structurer des récits longs sans les dissoudre. Contestable, parce que sa mise en scène peut parfois transformer l’émotion en démonstration, et le personnage en fonction. Or L’Odyssée exige l’inverse : que l’itinéraire ne devienne jamais une simple mécanique.
Ce qui rassure dans la bande-annonce, c’est la place accordée aux instants de suspension. On perçoit une volonté de ménager des respirations, de laisser les visages réfléchir, d’installer une fatigue, un doute. L’épique, quand il fonctionne, est aussi une affaire de vulnérabilité. Ulysse ne rentre pas seulement chez lui : il rentre vers une version de lui-même qui n’existe plus.
Le cinéma de Nolan est souvent loué pour sa puissance narrative, et critiqué pour son besoin de contrôler la réception. Or, Homère — ou du moins la tradition homérique — laisse circuler une part de mystère, de chant, de zones d’ombre. Le trailer annonce un film qui pourrait vouloir tout tenir ensemble : la précision et l’énigme, la carte et le brouillard.
Mais cette volonté de maîtrise peut produire un paradoxe : plus on explique, plus on éloigne le sacré ; plus on stylise, plus on le rend abstrait. L’équilibre à trouver est délicat. À ce stade, la bande-annonce a l’intelligence de ne pas “vendre” l’intrigue. Elle vend une sensation : celle d’un voyage qui use, transforme, et peut-être abîme.
On ne voit pas tout, et c’est tant mieux. La question demeure : comment représenter ce que le cinéma a déjà représenté mille fois — sirènes, cyclopes, sortilèges — sans tomber dans l’illustration numérique ou le théâtre filmé ? La présence de personnages mythologiques ouvre un champ d’expérimentation. Nolan pourrait s’amuser à faire de ces figures des événements de mise en scène, comme des ruptures de régime d’image.
En y pensant, cela me rappelle une idée très contemporaine : nos voyages d’aujourd’hui ne sont plus seulement géographiques, ils sont aussi des parcours de réseaux, de routes invisibles. Une façon un peu oblique de prolonger la métaphore consiste à penser “l’itinéraire” comme une cartographie complexe. J’ai retrouvé cette analogie en lisant un article sur un outil qui révèle le chemin des données sur Internet, et j’aime bien ce rapprochement : tracer une route, c’est souvent découvrir des détours qu’on n’avait pas imaginés. https://www.nrmagazine.com/comprendre-le-traceroute-un-outil-essentiel-pour-analyser-le-chemin-des-donnees-sur-internet/
Une adaptation de L’Odyssée ne tient pas seulement à son héros : elle tient à la diversité des présences croisées, aux hospitalités ambiguës, aux ennemis temporaires, aux alliés imprévisibles. Le choix d’un casting aussi large laisse espérer un film qui assume la dimension “chœur” du récit, au sens antique comme au sens moderne : une multitude de voix, de corps, de registres.
En tant que spectateur, j’attends surtout que ces figures ne soient pas réduites à des cameos “à identifier”. Le trailer, là encore, fait un choix plutôt sain : il ne transforme pas la distribution en jeu de piste. Il laisse une impression de monde, pas de catalogue.
Nolan occupe une place rare : il fabrique des films très visibles, très chers, mais qui conservent des préoccupations de cinéaste — au sens artisanal et formel. Cette position de “grand public exigeant” est fragile, parce qu’elle attire deux types de malentendus : ceux qui voudraient du pur divertissement, et ceux qui attendent une complexité théorique permanente.
L’Odyssée peut réconcilier ces attentes, ou les frustrer. La bande-annonce ne promet ni un film hermétique ni une attraction simplifiée. Elle promet un récit ample, tenu, où le spectacle aurait du sens parce qu’il serait porté par une idée du destin, du retour, de l’identité. Dans un paysage où l’aventure est souvent formatée, cette promesse, en soi, est déjà un geste.
Et si l’on veut replacer cela dans une culture plus large de l’imaginaire contemporain, il est intéressant de voir comment d’autres médiums travaillent des récits d’errance, de monstres, de maturité. L’animation adulte, par exemple, explore parfois mieux que le cinéma live la plasticité des mythes. Pour élargir le champ, on peut jeter un œil à cette sélection : https://www.nrmagazine.com/meilleurs-animes-adultes-2025/
La meilleure décision de cette bande-annonce est peut-être sa retenue : elle ne déplie pas la liste des épreuves, elle ne transforme pas le film en résumé. Elle installe une tonalité, des enjeux de regard, un mélange de grandeur et de rugosité. Elle accepte que le spectateur arrive au film avec des attentes, mais aussi avec du doute.
Je me surprends même à espérer que Nolan laisse une place à des séquences plus humbles, presque domestiques, car c’est souvent là que l’épique prend son sens : quand on comprend ce qu’on risque de perdre. Un “retour” n’a de valeur que si l’on filme aussi ce qui attend au terme du voyage.
Au fond, cette première bande-annonce ne vend pas seulement un film ; elle réactive une question qui dépasse Nolan : qu’est-ce que le cinéma fait à un mythe quand il le prend au sérieux ? Le trailer suggère un choc fertile entre réalisme et merveilleux, entre performance d’acteurs et forces symboliques, entre aventure et mémoire.
Reste une inconnue, passionnante : est-ce que Nolan filmera L’Odyssée comme une machine narrative parfaitement huilée, ou acceptera-t-il d’y laisser entrer quelque chose de plus indocile — une part de chant, d’irrationnel, de nuit ?
En attendant, pour ceux qui aiment observer comment le cinéma fait exister le vivant à l’écran — humains ou créatures — il y a un plaisir assez simple à se replonger dans des films où la présence animale devient un enjeu de mise en scène, parfois plus difficile à capter qu’un effet spectaculaire : https://www.nrmagazine.com/les-meilleurs-films-avec-des-animaux/