Paul Feig, réalisateur de The Housemaid, s’inspire des techniques d’Alfred Hitchcock : Interview exclusive

Il y a des cinéastes dont on croit connaître la grammaire parce qu’ils ont longtemps parlé la langue du rire. Paul Feig fait partie de ceux-là. Mais lorsqu’il s’aventure sur les terres du thriller, il ne renie pas la comédie : il la déplace, l’assombrit, la rend nerveuse — et, surtout, il la met au service de la tension. Dans The Housemaid, cette bascule s’entend presque comme une leçon de ton : la blague n’est jamais un feu d’artifice gratuit, elle surgit comme une soupape, au moment exact où le suspense risquerait d’étouffer le cadre.

Ce qui frappe, dans sa manière d’en parler, c’est sa lucidité artisanale : Feig ne théorise pas pour impressionner, il décrit des gestes de mise en scène, des décisions de montage, une gestion précise des ruptures. Et au cœur de cette méthode, il le reconnaît volontiers : Alfred Hitchcock n’est pas seulement une influence, c’est un modèle de respiration. Un cinéma où l’angoisse peut cohabiter avec l’ironie, sans jamais dissiper l’inquiétude.

Un réalisateur de comédie qui refuse le “spoof” : le sérieux comme carburant

Feig insiste sur un point clé : même lorsqu’il filme des situations drôles, il ne cherche pas la parodie. Il revendique une approche “genre d’abord”. Autrement dit : le film doit tenir debout comme un thriller avant d’être “un thriller avec des traits d’humour”. C’est une nuance décisive, parce qu’elle éclaire sa hiérarchie des enjeux : la scène doit maintenir des stakes clairs, une menace lisible, et une logique émotionnelle cohérente. Si l’humour vient contredire la crédibilité de la situation, le spectateur décroche.

Cette discipline, il la formule avec une simplicité qui sonne juste : placer le rire là où il “doit” être, et surtout pas là où il ne devrait pas. On reconnaît ici une approche que j’ai souvent observée chez les réalisateurs qui maîtrisent la comédie “inconfortable” : ce n’est pas l’excès qui fait rire, c’est la justesse d’un malaise. Dans ce sens, Feig a appris à faire monter la gêne comme on tend une corde — puis à relâcher au millimètre. Ce n’est pas un hasard s’il cite volontiers l’idée de marcher sur une ligne : c’est un cinéma de déséquilibre contrôlé.

De Bridesmaids à The Housemaid : le déplacement d’un même sens du rythme

La trajectoire de Feig dit aussi quelque chose d’un contexte plus large : la comédie de studio s’est raréfiée au cinéma, et beaucoup de cinéastes ont trouvé, dans des formes hybrides, une manière de prolonger leur geste. Feig, lui, a glissé vers des récits plus ambigus, plus vénéneux, souvent portés par des personnages féminins au centre du jeu.

The Housemaid s’inscrit dans cette veine : une histoire de maison, de hiérarchie sociale, de rôle assigné — et d’hostilité qui s’infiltre dans les rituels du quotidien. C’est aussi un récit qui semble conçu pour mettre en valeur une mécanique de renversements : ce que l’on croit stable se fissure vite, et ce qui paraît évident se retourne. Feig le dit à demi-mot : l’architecture narrative est solide, car le matériau d’origine fournit une “feuille de route” efficace. Cette solidité lui permet de se concentrer sur l’ajustement, le calibrage, l’économie : raccourcir ici, resserrer là, plutôt que remodeler le récit en profondeur.

Hitchcock comme boussole : tension, ironie et personnages satellites

Quand Feig évoque Hitchcock, ce n’est pas pour invoquer un prestige : il parle d’une tonalité. Chez Hitchcock, la peur est souvent traversée par une drôlerie oblique : un détail incongru, un personnage secondaire qui fait dévier l’atmosphère, une brève anomalie qui relâche un nœud avant de le resserrer plus fort. Feig semble poursuivre exactement cette dynamique : la comédie comme technique de gestion de la tension, pas comme commentaire extérieur.

Il cite aussi, au passage, une admiration pour Jordan Peele et une attention portée aux micro-événements sonores, ces petits choix très concrets qui fabriquent une sensation. C’est intéressant, parce que cela signale une sensibilité moderne à la texture — ce que les thrillers récents ont compris : la peur n’est pas seulement dans le rebondissement, elle est dans l’intervalle, dans un bruit, dans une durée trop longue, dans une action banale rendue suspecte par le cadre.

Au fond, l’héritage hitchcockien ici n’est pas celui des “grands” effets, mais celui du contrôle : contrôler où le spectateur regarde, ce qu’il anticipe, et quand on lui autorise — ou non — une détente.

La mise en scène du “imprévisible” : construire Nina sans la réduire à une caricature

L’un des grands risques, lorsqu’un personnage bascule dans la violence émotionnelle, c’est de devenir un symbole plutôt qu’une personne. Feig décrit son travail avec Amanda Seyfried (Nina) comme une recherche permanente de seuil : pousser l’excès, oui, mais sans que Nina soit “folle et méchante tout le temps”. Sinon, le film perdrait doublement : d’abord parce que le personnage deviendrait un pur dispositif, ensuite parce que la présence de Millie dans la maison deviendrait invraisemblable.

Ce que Feig veut préserver, c’est la logique du yoyo : colère fulgurante, puis séduction, puis gratitude, puis nouvelle rupture. Ce schéma n’est pas qu’un “trait de caractère”, c’est une stratégie de suspense. Il maintient les personnages — et le public — dans un état d’alerte. Cinématographiquement, cela autorise des variations de jeu, de tempo, de distance de caméra : on peut se rapprocher quand la douceur s’installe, puis réintroduire une dissymétrie quand l’orage revient.

J’aime aussi l’idée, très concrète, que certaines séquences aient été tournées dans un ordre proche de la chronologie (hors scènes spécifiques de décor). Cela peut sembler secondaire, mais pour des acteurs qui travaillent sur la montée d’une hostilité, le tournage chronologique aide à inscrire la transformation dans le corps : les regards se fatiguent, les gestes se raidissent, la politesse se creuse. C’est une technique discrète, mais efficace, pour donner au malaise une progression organique.

Créer un équilibre “haut fil” : où placer le rire sans casser la menace

La question la plus importante, Feig la ramène à un art de l’emplacement. L’humour doit arriver comme un moment où l’on relâche l’air du ballon — pas comme une vanne qui viendrait ridiculiser l’événement. Cette idée est fondamentale, et elle vaut au-delà de ce film : un bon thriller sait que la tension continue finit par s’aplatir. Sans respirations, le spectateur s’anesthésie. La comédie, chez Feig, devient un outil de rythme au même titre que la musique ou le montage.

Il donne un exemple parlant avec une réplique triviale surgissant après une épreuve : un besoin immédiat, presque animal, qui ramène le corps au premier plan. Ce genre de phrase fonctionne précisément parce qu’elle ne “fait pas spirituel” : elle est une réaction. C’est une manière d’éviter l’humour d’auteur trop visible. Ici, la blague n’est pas un clin d’œil au public ; elle est un réflexe de survie.

Et le détail est révélateur : Feig s’amuse d’un élément de repas devenu source de tension à lui seul, comme si l’objet (et sa stabilité incertaine) se transformait en accessoire hitchcockien miniature. On pense à ces micro-suspenses du quotidien, où l’angoisse naît d’une chose ridicule en soi, mais inquiétante par son timing. C’est du cinéma très concret : une dramaturgie par les objets, les mains, les durées.

Diriger l’érotisme : la question du regard et l’obsession du détail

Lorsqu’il aborde la mise en scène des scènes intimes, Feig tient un discours qui, là encore, privilégie la méthode plus que l’intention affichée. Son premier point est éthique : le confort des acteurs. Cela implique un cadre de travail, une coordination dédiée, et une écoute réelle des limites. Mais ce qui m’intéresse davantage, c’est sa conception esthétique de l’érotisme : ce n’est pas le spectaculaire qui crée l’intimité, c’est le fragment.

Il parle de mains, de visages, de bouches — autrement dit, de plans qui construisent une sensation sans basculer dans une démonstration. Dans beaucoup de thrillers contemporains, l’érotisme se rate parce qu’il est filmé comme une preuve. Ici, l’approche décrite semble inverse : suggérer une proximité par la précision des détails, et non par l’étalage. C’est une façon de décaler le centre de gravité : on passe du “corps exposé” au “corps ressenti”.

Feig ajoute un élément rarement assumé aussi clairement : le montage final est aussi une négociation avec la perception. Les projections tests deviennent une sorte de baromètre : trop loin, pas assez, trop explicite, trop long. On peut discuter l’idée de laisser au public-test une influence sur la forme, mais dans ce type de film grand public, cette pratique révèle au moins une chose : la tonalité se joue souvent à une poignée de plans près.

Le legs de The Office : le cringe comme cousin du suspense

Feig a réalisé des épisodes marquants d’une série où l’inconfort est presque une philosophie : la gêne y naît de l’écart entre ce que les personnages croient maîtriser et ce qu’ils exposent malgré eux. Il ne faut pas sur-vendre ce lien, mais il est éclairant : le cringe et le suspense partagent une structure. Tous deux reposent sur l’anticipation : “non, ne fais pas ça”, “non, n’ouvre pas cette porte”, “non, ne dis pas cette phrase”. C’est le même moteur, avec des conséquences différentes.

Feig résume une règle que beaucoup de comédies oublient : il faut jouer la scène comme un drame. C’est précisément ce sérieux interne qui rend l’ensemble crédible — et donc drôle, ou inquiétant. En tant que cinéaste amateur, c’est une leçon que je trouve profondément pratique : on peut avoir un décor modeste et des moyens limités, mais si les acteurs “croient” à l’enjeu, la scène gagne immédiatement en densité. Le genre n’est pas un costume : c’est un engagement.

La question des suites et l’état de la comédie en salle : un diagnostic sans nostalgie facile

Interrogé sur la possibilité d’un retour à une franchise d’action-comédie, Feig se montre prudent. Il évoque moins un manque d’idées qu’un doute sur le moment : est-ce encore un espace où ce type de film peut exister, au cinéma, avec la même énergie collective ? Son observation sur la comédie est précise : une comédie fonctionne différemment en salle et à la maison. Non pas parce qu’elle “vaut” plus en salle, mais parce que le rire est un phénomène contagieux, rythmique, social. Le film devient une partition et la salle, un instrument.

Il souligne aussi une tension contemporaine : certains films comiques se voient reprocher de ne pas porter un discours sérieux sur le monde, comme si le rire devait obligatoirement justifier sa légitimité par une thèse. On peut ne pas partager son agacement, mais la remarque touche un point réel : le spectateur et la critique n’attendent plus la même chose des genres populaires, et la frontière entre divertissement et commentaire s’est déplacée.

Mise en perspective cinéphile : Hitchcock, Tarantino, Bourne, Star Wars… et le sens du pur récit

Ce qui m’intéresse, c’est de replacer cette déclaration d’amour à Hitchcock dans une cartographie plus large des influences contemporaines. Hitchcock, c’est l’art de la mise en scène comme manipulation assumée, mais élégante. À l’inverse, d’autres cinémas jouent davantage la frontalité, l’énergie, ou la fragmentation. On peut s’amuser, par exemple, à comparer cette gestion du suspense “par le détail” à une logique plus “chorégraphique” d’action et de poursuite, telle qu’on la retrouve dans certains épisodes de la saga Bourne (un panorama utile ici : https://www.nrmagazine.com/films-saga-bourne-classes/), où le rythme vient de la coupe, de la fuite, de l’instabilité.

À l’autre bout, un cinéma comme celui de Tarantino met souvent en avant la tension par le dialogue, l’attente, la parole qui tourne autour de l’acte. Ce n’est pas du Hitchcock pur, mais il y a un cousinage : l’idée qu’une scène peut être insoutenable sans qu’il s’y passe “grand-chose”, simplement parce que le temps est étiré (pour une mise en perspective détaillée : https://www.nrmagazine.com/classement-films-tarantino/).

Et puis il y a les grandes machines mythologiques, où le suspense naît de la promesse d’un monde et de ses règles — l’exemple le plus évident restant Star Wars, avec ses récits construits sur l’héritage, la révélation, la transmission (repères et classement : https://www.nrmagazine.com/classement-films-star-wars/). Le film de Feig, lui, semble préférer l’échelle resserrée : une maison, des couloirs, des pièces, un théâtre domestique où chaque regard devient indice.

Cette échelle “domestique” a d’ailleurs une conséquence directe : l’espace doit être lisible. On pense immédiatement à la manière dont Hitchcock fait exister une maison comme une carte mentale, avec ses zones sûres et ses zones interdites. Dans ce type de récit, la géographie n’est pas un décor : c’est une dramaturgie. Pour qui s’intéresse à la construction visuelle d’un récit (plans, hiérarchie de l’information, organisation des éléments dans le cadre), il n’est pas inutile d’aiguiser son regard avec des outils de composition et de design ; certaines ressources peuvent aider à formaliser ces intuitions, comme ici : https://www.nrmagazine.com/formation-en-ligne-infographie-devenez-expert-en-design-graphique-rapidement/.

Enfin, pour rester sur cette question de tonalité et de réception, je trouve intéressant de rapprocher le cas Feig d’autres films récents qui ont divisé par leur mélange d’intentions (humour, grand spectacle, gravité, autocitation). Les débats autour d’un blockbuster comme Thor: Love and Thunder montrent à quel point le public perçoit immédiatement un déséquilibre de ton — parfois avant même de pouvoir le nommer (analyse utile : https://www.nrmagazine.com/thor-amour-foudre-analyse/). Or Feig, précisément, construit son discours autour de cette obsession : trouver le point où l’humour libère, sans annuler le danger.

Lecture critique : ce que cette approche promet, et ce qu’elle risque

Sur le papier, la méthode Feig a une force : elle considère le spectateur comme un corps soumis à des pressions — peur, soulagement, désir, gêne — et organise le film comme une circulation de ces états. C’est une conception “musicale” de la narration, où le rire est un contretemps et non un solo. Cette logique est particulièrement pertinente pour un thriller qui joue la sensualité et l’inquiétude : ce sont deux registres voisins, qui déplacent l’attention vers les détails, les peaux, les respirations, les silences.

Mais elle a aussi un risque : la tentation de la mécanique. Quand on parle beaucoup de “placer” le rire, de “relâcher l’air”, on frôle une forme d’ingénierie qui peut se sentir. Tout dépend alors de la matière humaine : le jeu, la présence, l’imprévu sur le plateau. Feig semble en avoir conscience, notamment lorsqu’il insiste sur la nécessité de ne pas “cartooniser” Nina, et sur l’importance d’un tournage qui accompagne l’évolution émotionnelle.

L’autre point sensible concerne l’équilibre entre ce que le récit cache (secrets, retournements) et ce qu’il joue (la scène comme moment). Les thrillers à twists peuvent parfois sacrifier la vigueur des scènes au profit d’une architecture globale. Le fait que Feig parle avant tout de scènes, de détails, d’objets, me rassure : cela suggère un intérêt pour l’instant présent, pas seulement pour la révélation.

Une fin ouverte : apprendre à regarder le suspense comme une question de respiration

Ce que cette interview laisse entrevoir, au-delà du film lui-même, c’est une manière de reconsidérer Hitchcock non comme un musée, mais comme une boîte à outils émotionnelle. La leçon n’est pas “imiter” un style : c’est comprendre comment un film dirige l’attention, module la durée, et décide du moment où l’on a le droit de souffler. Dans The Housemaid, Feig semble chercher cette respiration précise : celle où l’on rit non pas parce que l’on n’a plus peur, mais parce que la peur vient de se déplacer ailleurs.

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