Culture

Isamu Noguchi, sculpteur de lumière

Une rétrospective au Barbican Centre de Londres

Le sculpteur américano-japonais Isamu Noguchi (1904-1988) était un artiste expérimental et novateur, dont la carrière de plus de 60 ans a embrassé la sculpture, l’architecture, la danse et le design. Le Barbican Centre de Londres lui consacre actuellement une grande rétrospective, retraçant l’évolution kaléidoscopique de son travail.

Les débuts artistiques

Né à Los Angeles d’un père japonais et d’une mère américaine, Isamu Noguchi a grandi entre le Japon et les États-Unis. Adolescent solitaire, il développe un intérêt précoce pour le jardinage, la danse traditionnelle japonaise et la lecture.

À 20 ans, il part étudier la sculpture à Paris auprès du maître roumain Constantin Brancusi, pionnier de l’art abstrait. Cette expérience est déterminante pour le jeune Noguchi, qui admire la vision moderne de Brancusi ainsi que son approche des matériaux et des outils.

timelapse photo of LED light

Les portraits et commandes new-yorkaises

De retour à New York en 1929, Noguchi commence à sculpter des portraits pour gagner sa vie. Cela lui permet de rencontrer des collaborateurs et mécènes importants, comme la chorégraphe de danse moderne Martha Graham (pour qui il créera de nombreux décors de scène) et l’inventeur-architecte R. Buckminster Fuller (avec qui il partagera une amitié durable et une vision humaniste tournée vers la technologie).

Malgré le succès de ses bustes, Noguchi ressent le besoin de donner à la sculpture un but plus noble et universel. Il se tourne alors vers le design industriel et la sculpture publique.

Le Mexique et l’art engagé

En 1935, face aux critiques racistes de son travail aux États-Unis et au manque de soutien pour ses projets ambitieux comme Play Mountain (une aire de jeu gigantesque en forme de montagne), un Noguchi frustré part au Mexique. Là-bas, il collabore avec Diego Rivera sur une fresque antifasciste de grande ampleur : History Mexico.

Cette expérience conforte ses convictions sur l’utilité et la dimension communautaire que devrait revêtir la sculpture.

Se trouver en tant qu’artiste

Le début de la Seconde Guerre mondiale et le climat anti-japonais ambiant sont un tournant dans la vie de Noguchi. Choqué par l’internement de force des Nippo-Américains, il décide de rejoindre volontairement l’un des camps dans l’Arizona pour défendre leurs droits.

Mais très vite, face à la dure réalité du camp, il perd ses illusions. Cet épisode douloureux le pousse à recentrer son travail artistique et à concevoir la sculpture comme un moyen d’appréhender la complexité de l’expérience humaine.

Expérimentations artistiques

De retour à New York, Noguchi explore de nouvelles voies créatives. Il fabrique des lampes en magnesite baptisées Lunars, ainsi que des compositions en marbre à assembler. Ses créations hybrides entre sculpture et design comme la Table basse (1944) ou les lampes Akari (1951) deviennent très populaires.

Ses sets de scène et propositions de mémoriaux pour la danse moderne suscitent également l’intérêt. Bien que certaines de ses maquettes paraissent irréalisables, Noguchi persévère dans ses efforts pour donner une dimension poétique et spirituelle à ses projets.

Un citoyen du monde

À la fin des années 1940, en quête d’un sens plus profond à donner à son travail, Noguchi entreprend un long voyage autour du monde grâce à une bourse. Pendant six ans, il visite l’Europe et l’Asie à la recherche d’inspiration dans les espaces sociaux et religieux anciens.

Ces pérégrinations nourrissent sa conscience du rôle de la sculpture à l’ère planétaire. Elles influencent également ses créations ultérieures, qu’il veut empreintes d’hybridité culturelle et temporelle.

red and yellow light bokeh

Grands projets publics

Dans les années 1960-70, fort de sa renommée grandissante, Noguchi réalise plus d’une vingtaine de commandes publiques aux États-Unis et à travers le monde. Jardins, fontaines, aires de jeux… ses espaces civicosociaux novateurs redéfinissent notre rapport à la nature et au temps.

Complexes de jardins et places

Malgré les disputes fréquentes avec les architectes, Noguchi collabore étroitement avec eux. Ses projets les plus ambitieux voient le jour grâce à ces collaborations stimulantes, comme les jardins de pierre du Beinecke Rare Book Room de l’Université Yale ou de la Chase Manhattan Plaza à New York.

En 1976, il fonde même une société avec l’architecte Shoji Sadao pour gérer ses nombreuses commandes publiques. Ensemble, ils conçoivent des projets aux dimensions cosmiques, à l’image du plazapublic sur les rives de Détroit.

Mémorials et équipements ludiques

Parmi ses réalisations marquantes figurent également plusieurs mémoriaux, dont un poignant mémorial aux victimes d’Hiroshima. Noguchi crée aussi des aires de jeux révolutionnaires, fidèle à ses convictions sur la fonction sociale et éducative de la sculpture.

L’une de ses dernières œuvres, le parc gigantesque Moerenuma à Sapporo (Japon), occupe une place particulière. Avec ses montagnes, rivières et équipements ludiques, ce projet à la fois utopique et réalisé incarne l’héritage humaniste de Noguchi.

Matériaux et spiritualité

Tout au long de sa carrière, Noguchi n’a eu de cesse d’explorer différents matériaux, y trouvant inspiration et significations profondes. La pierre notamment revêt à ses yeux une dimension à la fois ancestrale et visionnaire.

Akari : entre tradition et modernité

Avec ses célèbres lampes Akari, Noguchi modernise la lanterne japonaise traditionnelle en washi. La structure en bambou et le papier créent un effet de légèreté saisissant. Diffusant une lumière douce évoquant « les rayons du soleil filtrés par le shoji », les Akari sont à la croisée de l’artisanat nippon et du design contemporain.

La pierre, matériau cosmique

Quant à la pierre, matériau de prédilection de Noguchi dans ses dernières années, elle symbolise à la fois le passé par ses origines telluriques et le futur par son lien avec l’espace (« des roches qu’on ramène de voyages cosmiques »).

En taillant le basalte et le granite avec virtuosité, il dialogue avec les forces de la nature. Ses compositions interdépendantes en pierres suggèrent un équilibre instable, accentuant la tension dramatique de l’instant sculpté.

Un musée-manifeste

En 1985, un an avant sa mort, Noguchi choisit d’ouvrir un musée à son nom dans son atelier new-yorkais. Ce projet très personnel est à son image : hybride entre espace d’exposition, jardin vivant et lieu de rassemblement.

Le musée retrace sa carrière en commençant par ses dernières sculptures en basalte. Mais au-delà d’un simple dépôt d’œuvres, Noguchi conçoit ce musée comme une invitation au questionnement et à l’apprentissage par le partage.

Fidèle à ses idéaux, ce sculpteur de génie y défie une dernière fois les conventions pour créer un espace propice à de nouvelles façons de penser et d’être au monde.

Dimitri

Je suis un écrivain passionné par la lecture et l'écriture. J'ai choisi d'exprimer mes opinions et mes observations sur mon blog, où je publie souvent des articles sur des sujets qui me sont chers. Je m'intéresse aussi beaucoup aux préoccupations sociales, que j'aborde souvent dans mon travail. J'espère que vous apprécierez mes articles et qu'ils vous inciteront à réfléchir vous aussi à ces sujets. N'hésitez pas à me laisser un commentaire pour me faire part de vos réflexions !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page