La trilogie dystopique de Dylan O’Brien, trop méconnue, quittera bientôt Netflix

Il y a des sagas que l’on croit connaître par simple osmose culturelle. Et puis il y a celles qu’on a vues passer, cataloguées trop vite comme “jeunesse”, aussitôt rangées au fond d’un tiroir mental. La trilogie The Maze Runner appartient à cette seconde catégorie : un triptyque de science-fiction dystopique qui a su fédérer un vrai public, sans jamais s’imposer comme un passage obligé de la pop culture, à la différence d’autres franchises de la même décennie.

Si l’on s’y intéresse aujourd’hui, ce n’est pas uniquement par nostalgie de l’ère des grandes adaptations young adult. C’est aussi parce que la trilogie s’apprête à quitter Netflix le 9 janvier 2026. Une échéance qui agit comme un petit révélateur : ces films, plus solides qu’on ne l’a souvent dit, méritent d’être revus — ou découverts — avant de disparaître du confort du streaming.

Un héritage “young adult” encombrant, mais un cas à part

Le cinéma américain de la fin des années 2000 et du début des années 2010 a vécu une ruée vers l’or : celle des adaptations de romans destinés aux adolescents, dopées par des succès planétaires. Le modèle semblait simple : un héros “élu”, une communauté à sauver, une mythologie étalable sur plusieurs films. La réalité économique l’a souvent contredit : des séries lancées avec fracas se sont essoufflées au fil des opus, parfois jusqu’à l’implosion industrielle.

The Maze Runner, adapté des romans de James Dashner, s’inscrit dans cette vague tout en s’en distinguant. Là où certaines franchises s’embourbaient dans la répétition ou la grandiloquence mécanique, celle-ci a conservé une énergie de récit, une tension de parcours. Pas un miracle, plutôt une combinaison : un concept initial très lisible, une mise en scène attentive au mouvement, et une distribution qui tient la route quand le scénario s’autorise des raccourcis.

Pour prolonger cette réflexion sur la façon dont les œuvres circulent, se recontextualisent et se rejouent au gré des plateformes, on peut aussi regarder du côté de certains dossiers et analyses culturelles comme ceux proposés ici : https://www.nrmagazine.com/?p=13743.

Wes Ball : une mise en scène qui préfère la vitesse au commentaire

La trilogie est pilotée par un seul réalisateur, Wes Ball, ce qui est loin d’être un détail. Dans le paysage des franchises, la continuité de regard est rare : on change souvent de cinéaste au gré des impératifs de calendrier ou de stratégie. Ici, Ball impose une cohérence de fabrication : une action lisible, un sens de l’espace, et surtout une obsession du déplacement. Ses films ne s’arrêtent pas longtemps pour “expliquer” ; ils avancent, parfois au prix de zones d’ombre, mais avec une vraie logique de cinéma : montrer par l’action, organiser l’information par le cadre et le rythme.

Le premier film, construit autour de l’idée d’un labyrinthe mouvant, est le plus “pur” : un huis clos élargi, une communauté, des règles, et un mystère qui s’épaissit. Ball y exploite une géographie simple mais efficace : la clairière comme espace de survie, les murs comme menace, et le hors-champ comme moteur anxiogène. Le montage y sert une dramaturgie claire : alternance de moments d’organisation collective et d’irruptions de danger, comme si l’ordre social se fissurait par secousses.

À ce stade, la saga est presque un film d’apprentissage déguisé : comment devient-on leader quand on ne comprend même pas les règles du monde ? Cette économie narrative — l’amnésie comme outil dramatique — permet d’embarquer le spectateur sans surcharge explicative.

Dylan O’Brien, ou l’art d’être un héros sans posture

Le cœur battant de la trilogie, c’est Dylan O’Brien. Il a une qualité rare pour ce type de cinéma : une présence qui n’a pas besoin de souligner sa bravoure. Son personnage, Thomas, n’est pas un héros statufié ; il doute, il s’agace, il se trompe, il accélère parfois là où il faudrait observer. O’Brien joue sur une nervosité contenue, une façon d’être constamment sur le fil, qui convient parfaitement à une dystopie fondée sur l’urgence.

Face à lui, Kaya Scodelario apporte à l’ensemble une couleur plus ambivalente : son jeu introduit un trouble, une possible duplicité, et une densité émotionnelle qui évite de réduire le récit à une simple course-poursuite. Quant à Thomas Brodie-Sangster, il donne au groupe une sensibilité singulière, moins spectaculaire mais essentielle : celle des personnages qui observent, encaissent, et deviennent la mémoire morale du récit.

Si l’on s’intéresse aux carrières qui se fabriquent dans ces franchises et à la manière dont elles redéfinissent la perception d’un acteur, certaines lectures transversales sont utiles, à l’image de celles que l’on retrouve sur https://www.nrmagazine.com/?p=22361.

Du labyrinthe au désert : quand la saga change de nature

La trajectoire des trois films est aussi un déplacement de genre. Le premier relève du survival conceptuel : un espace clos, une énigme, une menace régulière. Le second, Les terres brûlées, bascule vers le film de traversée : un désert, des ruines, des factions, des embuscades. C’est souvent l’épisode le plus discuté, parce qu’il agit comme un pont : il déplace les pièces du jeu, prépare les alliances, installe les nouveaux enjeux.

Cinématographiquement, c’est pourtant celui où Ball semble le plus à l’aise avec l’échelle : le danger y vient du paysage autant que des adversaires. La mise en scène profite des lignes de fuite, des horizons brûlés, des architectures éventrées. Le récit s’autorise des respirations brèves — juste assez pour sentir que ces adolescents sont devenus des corps fatigués, marqués, et plus seulement des silhouettes héroïques.

Cette idée de film “charnière” est souvent mal aimée du public : on lui reproche de ne pas “conclure”. Mais c’est parfois dans ces épisodes intermédiaires que la franchise révèle sa vraie nature : non pas une suite d’exploits, mais une transformation progressive du monde et des personnages. Pour une approche plus large des séries filmiques et de leurs équilibres internes, ce détour peut enrichir la lecture : https://www.nrmagazine.com/?p=15700.

Le troisième film : ampleur, fatigue, et conclusion à l’ancienne

Le remède mortel est le plus long et le plus massif. On lui a parfois reproché une durée qui alourdit la progression, comme si la saga voulait cocher toutes les cases du final spectaculaire. Le reproche n’est pas infondé : certaines séquences semblent étirées pour renforcer l’impression d’“événement”.

Mais ce dernier chapitre a aussi une vertu assez rare dans les franchises contemporaines : il cherche réellement à fermer une trajectoire. Sans entrer dans le détail (pour éviter les spoilers inutiles), disons qu’il choisit la résolution émotionnelle plutôt que la pirouette ouverte. Le film assume une conclusion qui, même discutée, a le mérite d’être une conclusion. Dans une époque où l’on garde souvent une porte entrouverte “au cas où”, cette décision raconte quelque chose : une confiance dans la forme trilogique, presque classique.

Pourquoi ça fonctionne mieux que beaucoup d’adaptations du même cycle

On peut apprécier The Maze Runner sans le surévaluer. La trilogie a ses simplifications, ses personnages parfois au service de la mécanique, et une mythologie qui, par moments, préfère l’efficacité au vertige philosophique. Pourtant, elle “tient” mieux que nombre de concurrentes pour trois raisons très concrètes.

D’abord, une lisibilité de l’action. Ball filme le mouvement avec une clarté qui respecte le spectateur : on comprend où l’on est, ce qui est risqué, ce qui change d’un plan à l’autre. Ensuite, un sens du collectif. Là où beaucoup de YA se concentrent sur la romance ou le destin solitaire, la saga insiste sur le groupe, ses fractures, ses décisions — et donc sur une dramaturgie plus proche du film d’aventure. Enfin, une tonalité plus “physique” que “premier degré mythologique” : ces films s’intéressent au corps en fuite, au souffle, à l’épuisement, et pas seulement aux slogans de rébellion.

À ce titre, la trilogie dialogue discrètement avec d’autres récits d’adolescents confrontés à des mondes fabriqués pour les écraser : on pense à certaines dystopies littéraires, mais aussi à une tradition de cinéma d’action où la jeunesse devient un prisme de vulnérabilité plutôt qu’un argument marketing.

Une dystopie moins théorique, plus sensorielle

Ce qui frappe quand on revoit la trilogie aujourd’hui, c’est qu’elle n’est pas la plus “brillante” intellectuellement — et ce n’est pas forcément un défaut. Elle privilégie une dystopie sensorielle : des lieux hostiles, des organisations opaques, une science froide. Le spectateur n’est pas invité à admirer un grand système d’idées, mais à partager une expérience : courir, se cacher, comprendre trop tard, prendre parti sans certitude.

Cette approche a un revers : ceux qui attendent une réflexion politique frontale resteront peut-être sur leur faim. Mais elle a un avantage : le film n’oublie jamais qu’il est d’abord un objet de mise en scène, de rythme, de tension. Le sens passe par la sensation, et la sensation finit par fabriquer du sens.

Pour prolonger cette idée — la manière dont les films fabriquent des affects avant de fabriquer des discours — on peut nourrir sa curiosité avec des approches critiques plus larges, par exemple ici : https://www.nrmagazine.com/?p=14966.

Un succès durable, mais une reconnaissance critique incomplète

La trilogie n’a pas été unanimement célébrée par la critique lors de sa sortie. Elle a souvent été jugée “efficace”, adjectif à double tranchant : compliment discret, façon de ne pas s’y attarder. Pourtant, sa longévité témoigne d’autre chose qu’un simple produit de son époque. Elle s’est installée dans une zone particulière : pas assez prestigieuse pour devenir un classique officiel, trop solide pour être oubliée.

Ce statut intermédiaire explique peut-être son charme actuel. Revoir ces films, c’est revoir un moment de l’industrie où les studios tentaient encore des trilogies à budget conséquent, portées par de jeunes acteurs, avec une vraie continuité de réalisation. On sait qu’un projet de relance a été évoqué ces dernières années : signe que l’univers reste exploitable, mais aussi que sa base de fans n’a jamais totalement disparu.

Avant le départ de Netflix : revoir la trilogie comme un geste critique

La disparition prochaine de The Maze Runner du catalogue Netflix agit comme une petite contrainte salutaire : elle pousse à regarder maintenant, donc à regarder “avec attention”. Pas pour valider une réputation, mais pour se faire un avis de cinéma : sur la direction d’acteurs, la gestion de l’espace, l’évolution d’un récit sur trois mouvements, la façon dont un réalisateur maintient une cohérence tout en changeant d’échelle.

Et si l’on veut aller plus loin que la simple (re)découverte, on peut aussi interroger ce que ces départs de plateformes font à notre cinéphilie : le film devient un rendez-vous à ne pas manquer, presque une séance programmée. Une forme de retour — paradoxal mais réel — à l’idée de temporalité, donc à une certaine discipline du regard. Sur cette question de circulation des œuvres, de mémoire culturelle et de relecture, cette piste critique peut aussi accompagner la réflexion : https://www.nrmagazine.com/?p=22493.

Reste une question simple, qui vaut davantage qu’un verdict : que voit-on, exactement, quand on cesse de considérer The Maze Runner comme une “saga ado”, et qu’on la regarde comme une trilogie d’action dystopique construite, cohérente, tenue par un acteur central et un cinéaste qui filme le mouvement comme une idée en soi ?

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