
Vous pensiez que la pétanque était une histoire de retraités et d’apéros sous les platanes ? Détrompez-vous. Le week-end des 15 et 16 mars 2025, au boulodrome du Douaisis, Arlanc est venu rappeler à toute la France que ce sport peut atteindre des sommets de tension, d’émotion et de virtuosité pure. Face au tenant du titre Fréjus, le club auvergnat a décroché la Coupe de France des clubs 2025 au terme d’une bataille homérique qui a laissé des traces dans les cœurs bien au-delà du terrain. Et l’image qui restera gravée ? Celle de Philippe Suchaud, visage ravagé par la douleur et la fierté, incapable de retenir ses larmes après avoir appris le décès d’un membre de sa famille en pleine compétition, mais resté jusqu’au bout pour soutenir ses coéquipiers.
La Coupe de France des clubs, ce n’est pas un tournoi comme les autres. Le format est sans pitié : six tête-à-tête valant deux points chacun, trois doublettes à trois points chacune, et deux triplettes décisives à cinq points. Première équipe à atteindre seize points, et le trophée est à vous. Ce système transforme chaque partie en un véritable duel psychologique où l’avantage peut basculer à tout moment. Pour les joueurs, c’est une épreuve marathonienne qui teste autant les compétences techniques que la résistance mentale. Et à Douai, sur ce week-end de mars 2025, Arlanc et Fréjus ont offert un spectacle d’une intensité rare, où chaque boule jetée pesait son poids d’or.
Fréjus arrivait avec le statut de champion en titre et une armada de talents : Dylan Rocher surnommé « Dydy la foudre », Diego Rizzi champion du monde en fonction, Stéphane Robineau et Adrien Delahaye. Mais un coup du sort allait changer la donne : Diego Rizzi a déclaré forfait suite à un malaise avant le départ. Cette absence a créé une brèche dans le dispositif varois, une fissure qu’Arlanc allait exploiter avec maestria.
Dans un sport où l’expérience et la précision comptent autant que la puissance, Arlanc possédait deux monuments vivants de la discipline. D’un côté, Philippe Suchaud, avec ses plus de 300 titres au compteur, 13 titres de champion du monde, 12 championnats d’Europe, et ce statut de recordman absolu des championnats de France des clubs. De l’autre, Christian Fazzino, 68 ans, élu « joueur du siècle » en 2000, avec une carrière entamée en 1975 et plus de 500 victoires à son actif. Ces deux-là ne sont pas venus pour faire de la figuration : ils étaient là pour gagner.
Lors des tête-à-tête, Suchaud a imposé son autorité en remportant son duel 13-7 face à Philippe Ziegler, pendant que Fazzino s’inclinait de justesse 13-9 contre Dylan Rocher. Mais l’écart s’est rapidement creusé en faveur d’Arlanc qui menait 8-4 après cette première phase. Du côté féminin, Angélique Colombet, recordwoman de France avec 17 titres nationaux, a arraché une victoire précieuse. Cette Auvergnate, fidèle d’Arlanc, incarne la quintessence du talent féminin dans un sport longtemps dominé par les hommes — et elle le prouve match après match.
Les doublettes ont confirmé la domination arlancoise, mais Fréjus restait dans le coup, porté par l’orgueil des champions. Stéphane Robineau, à la frappe dévastatrice, a permis aux Varois de rester dans la course avec un carreau magistral lors de la dernière boule. Mais le Boulodrome de Saint-Le-Noble vibrait déjà aux couleurs d’Arlanc, sentant que le sacre n’était plus qu’une question de temps.
C’est dans les triplettes que Christian Fazzino a scellé l’histoire. Sur la mène décisive, le vétéran français a sorti un carreau à trois boules d’une précision chirurgicale. Cette boule pointée au plus près du but a inscrit le point final et couronné Arlanc champion de France 2025. Au passage, Fazzino a écopé d’un carton jaune pour être sorti du cercle — « dans son style », comme l’ont noté les commentateurs avec un sourire entendu. À 68 ans, le joueur du XXe siècle confirme que le XXIe siècle lui appartient aussi.
| Phase de jeu | Points attribués | Score Arlanc | Score Fréjus |
|---|---|---|---|
| Tête-à-tête (6 matchs) | 2 points/match | 8 | 4 |
| Doublettes (3 matchs) | 3 points/match | Avantage maintenu | Tentative de remontée |
| Triplettes (2 matchs) | 5 points/match | Victoire décisive | Résistance insuffisante |
| Score final | – | 16 | 7 |
Cette victoire aurait pu être qu’une ligne de plus dans les palmarès déjà garnis. Mais elle restera gravée dans les mémoires pour une tout autre raison. Philippe Suchaud a appris le décès de sa sœur pendant le week-end de compétition. Malgré cette nouvelle dévastatrice, la légende française a tenu bon, restant jusqu’au bout aux côtés de ses coéquipiers. Lorsque la dernière boule est tombée et qu’Arlanc a soulevé le trophée, les larmes de Suchaud ont témoigné d’une force de caractère hors du commun.
Ces pleurs ne sont pas ceux de la faiblesse. Ce sont ceux d’un homme qui honore ses engagements même quand l’existence le frappe en pleine face, d’un champion qui place l’esprit d’équipe au-dessus de sa douleur personnelle. Dans un monde où le sport de haut niveau est souvent associé à l’individualisme et à l’ego, cette image rappelle que la pétanque reste un sport profondément humain où la solidarité compte autant que le talent.
Si cette finale a captivé autant, c’est aussi parce que la pétanque vit un âge d’or. La Fédération française de pétanque et de jeu provençal (FFPJP) a dépassé les 302 000 licenciés en 2025, soit une progression de 21,6% depuis février 2023. Chaque mois, une centaine de nouveaux adhérents rejoignent les clubs affiliés. La discipline compte désormais 5 685 clubs répartis sur tout le territoire, avec une montée en puissance des régions hors Sud-Est traditionnel.
La pratique féminine progresse fortement : les femmes représentent près de 20% des licenciés au niveau national. Des figures comme Angélique Colombet, qui truste les podiums depuis près de 30 ans, inspirent une nouvelle génération de joueuses. Les jeunes, les urbains, les familles : tout le monde s’y met. On estime que plus de 17 millions de Français pratiquent la pétanque de manière occasionnelle. Les tournois de quartier, les événements locaux et la médiatisation croissante des compétitions internationales attisent la curiosité bien au-delà des cercles initiés.
Cette victoire n’est pas qu’un trophée de plus dans les vitrines d’Arlanc. Elle offre surtout une qualification directe pour les championnats d’Europe des clubs, qui se dérouleront du 6 au 9 novembre 2025 au boulodrome du Douaisis. La Pétanque Arlancoise représentera la France face aux meilleures formations du continent. Avec Suchaud, Fazzino, Colombet et toute l’armada auvergnate, les adversaires sont prévenus : les Français ne viennent pas pour participer, mais pour dominer.
Christian Fazzino, à 68 ans, n’a manifestement aucune intention de raccrocher. Il participera également à plusieurs Nationaux et se projettera vers les championnats de France Vétérans. Les championnats d’Europe Vétérans se tiendront du 12 au 15 juillet 2025 à Santa Susanna, en Espagne, où Fazzino pourrait bien décrocher une nouvelle couronne continentale. À ce niveau d’excellence, l’âge n’est manifestement qu’un chiffre sur une licence.
Du côté de Fréjus, la déception est palpable mais digne. Champion en titre et vainqueur du Trophée des Villes en janvier 2025, le club varois avait tous les arguments pour conserver son bien. Mais l’absence de Diego Rizzi, ce malaise avant le départ, a pesé lourd. Dylan Rocher, malgré son surnom de « Dydy la foudre » et ses neuf titres de champion du monde, n’a pas pu inverser la tendance. Stéphane Robineau, Adrien Delahaye et toute l’équipe ont livré une belle bataille, mais Arlanc était tout simplement irrésistible ce jour-là.
Cette défaite rappelle une vérité du sport de haut niveau : même les plus grands peuvent trébucher. Fréjus reviendra, plus affamé que jamais. Le club dispose d’un vivier de talents impressionnant et d’une culture de la gagne ancrée dans son ADN. Le remake de cette finale, trois ans après l’édition 2022 que Fréjus avait également perdue face à Arlanc, montre que certaines rivalités transcendent les époques.
Au-delà des scores et des statistiques, cette finale incarne quelque chose de plus grand. Elle rappelle que le sport, même à son plus haut niveau, reste avant tout une affaire d’êtres humains. Philippe Suchaud restant jusqu’au bout malgré sa douleur, Christian Fazzino défiant le temps à 68 ans, Angélique Colombet brisant les plafonds de verre dans un milieu masculin, Dylan Rocher incarnant la nouvelle génération affamée : tous ces destins croisés composent une fresque où la pétanque apparaît pour ce qu’elle est vraiment — un théâtre d’émotions où se jouent des drames, des épopées, des renaissances.
Cette victoire d’Arlanc nous rappelle que la performance sportive ne se résume jamais à un simple résultat. Elle se mesure à l’aune du courage, de la résilience, de la solidarité. Elle se lit dans les larmes d’un champion qui refuse d’abandonner ses coéquipiers, dans le regard d’un vétéran qui prouve que la passion ne connaît pas de date de péremption, dans le sourire d’une championne qui ouvre la voie aux générations futures.
Le 16 mars 2025, sur les terrains de Douai, Arlanc n’a pas seulement remporté une Coupe de France. Le club auvergnat a écrit une page de légende, celle où le sport révèle ce que l’humanité a de plus beau : la capacité à se surpasser quand tout semble perdu, à tenir bon quand l’existence vous met à genoux, à transformer la douleur en beauté. C’est ça, le vrai triomphe d’Arlanc.