
Imaginez un instant. Vous êtes dans les bureaux de Disney en 2012, entouré de concepts arts époustouflants, de maquettes de créatures martiennes et de scripts ambitieux. Sur la table, trois films déjà planifiés, un univers entier prêt à déferler sur les écrans. John Carter 2 : Les dieux de Mars devait être le deuxième volet d’une trilogie révolutionnaire. Aujourd’hui, treize ans plus tard, cette suite n’existe que dans l’imagination de ses créateurs et la frustration de ses fans. Que s’est-il passé ? Pourquoi Disney a-t-il brutalement stoppé l’une des sagas de science-fiction les plus prometteuses du cinéma moderne ?
John Carter 2 : Les dieux de Mars était la suite planifiée du film Disney de 2012, basée sur le deuxième roman d’Edgar Rice Burroughs. Malgré des scénarios achevés et des concepts visuels aboutis, le projet fut annulé après l’échec commercial retentissant du premier film, qui fit perdre 265 millions de dollars à Disney. La suite devait explorer la vallée mystérieuse de Dor, révéler la véritable nature des dieux martiens et réunir John Carter avec sa bien-aimée Dejah Thoris après dix années de séparation. Aujourd’hui, seuls quelques concepts arts et le témoignage du réalisateur Andrew Stanton témoignent de cette épopée avortée.

L’histoire de John Carter 2 commence par l’une des catastrophes les plus retentissantes de l’histoire du cinéma hollywoodien. Le 8 mai 2012, Disney officialise l’impensable : John Carter devient le plus gros flop de tous les temps, avec une perte nette de 265 millions de dollars. Pour comprendre l’ampleur du désastre, il faut réaliser qu’avec un budget de production de 263 millions de dollars, auxquels s’ajoutent les coûts marketing pharaoniques, le film n’a rapporté que 284 millions de dollars dans le monde entier.
Cette débâcle financière provoque un véritable séisme dans l’industrie. Rich Ross, alors patron des studios Disney, démissionne de son poste après avoir tenté de rejeter la faute sur Pixar. L’échec est d’autant plus cuisant que Marvel Studios, racheté par Disney, cartonne au même moment avec Avengers. Le contraste est saisissant : d’un côté, un univers cinématographique qui génère des milliards, de l’autre, une adaptation ambitieuse qui fait perdre une fortune.
Pourtant, derrière ces chiffres catastrophiques se cache une réalité plus nuancée. Andrew Stanton, le réalisateur oscarisé de Wall-E et Le Monde de Nemo, avait conçu une véritable saga. Les scénarios de John Carter 2 et 3 étaient bouclés, les décors conceptualisés, l’univers entièrement pensé. Dans les couloirs de Disney, on murmurait déjà que cette trilogie pourrait rivaliser avec Star Wars – ironiquement, une franchise que Disney rachètera quelques années plus tard pour 4 milliards de dollars.
En 2024, douze ans après la sortie du premier film, Andrew Stanton brise enfin le silence. Lors d’une convention, le réalisateur dévoile pour la première fois les détails complets de John Carter 2 : Les dieux de Mars. Le titre n’était pas choisi au hasard : il s’agit d’une adaptation directe du deuxième roman d’Edgar Rice Burroughs, publié en 1913.
L’intrigue dévoilée par Stanton révèle une sophistication narrative impressionnante. Dix années se sont écoulées depuis le retour forcé de John Carter sur Terre. Sur Mars, Dejah Thoris élève seule leur fils Carthoris, qu’elle imagine ne jamais connaître son père. Mais la tranquillité apparente cache un piège mortel : Matai Shang, le leader des mystérieux Therns, prend l’apparence de Tardos Mors pour kidnapper l’enfant. Ce prologue dramatique, narré par Lynn Collins, devait planter le décor d’une aventure encore plus épique que la première.
Le scénario prévu explorait des thèmes matures : la paternité brisée, la manipulation religieuse, l’identité. John Carter, revenu sur Barsoom après une décennie d’absence, découvre que Dejah Thoris s’est aventurée dans la vallée de Dor – l’équivalent martien de l’enfer – pour affronter les faux dieux qui terrorisent la planète. Cette suite promettait de révéler la véritable nature des Therns, ces êtres qui se font passer pour des divinités tout en manipulant les différentes factions martiennes.

Les révélations de Stanton s’accompagnent de concepts arts saisissants, présentés lors du Comic-Con de San Diego. Ces visuels, longtemps gardés secrets dans les coffres de Disney, dévoilent un univers d’une richesse visuelle stupéfiante. La vallée de Dor, décrite dans le roman de Burroughs comme un lieu de désolation peuplé de créatures terrifiantes, était conçue comme un environnement à la fois magnifique et mortel.
Les designs révèlent également l’évolution prévue des personnages. Dejah Thoris, interprétée par Lynn Collins, devait gagner en complexité, passant du statut de princesse en détresse à celui de guerrière accomplie et de mère protectrice. Taylor Kitsch, dans le rôle-titre, aurait retrouvé un John Carter plus mature, hanté par dix années d’exil terrestre et déterminé à reconquérir sa famille martienne.
| Élément | John Carter (2012) | Les dieux de Mars (annulé) |
|---|---|---|
| Temporalité | Arrivée de Carter sur Mars | 10 ans après son retour forcé sur Terre |
| Antagoniste principal | Sab Than (manipulé par les Therns) | Matai Shang et les faux dieux |
| Enjeu émotionnel | Conquête amoureuse | Réunion familiale et sauvetage du fils |
| Décor principal | Cités martiennes et déserts | Vallée de Dor, l’enfer martien |
| Thème narratif | Héros réticent trouvant sa cause | Paternité et démasquage de la religion |
L’abandon de la suite s’accompagne d’un détail crucial souvent ignoré : en 2014, Disney laisse expirer les droits d’adaptation des œuvres d’Edgar Rice Burroughs. Cette décision, prise deux ans après l’échec du premier film, signifie que les droits retournent automatiquement aux héritiers de l’auteur. Pour Disney, c’est l’équivalent d’un aveu définitif : la firme aux grandes oreilles ne croit plus au potentiel commercial de John Carter.
Cette situation juridique explique pourquoi, malgré les rumeurs récurrentes de revival, aucun projet concret n’a vu le jour chez Disney. Les héritiers Burroughs ont bien tenté de relancer l’intérêt en 2024 en créant un site web mystérieux affichant “John Carter is Coming”, mais cette initiative semble davantage relever du marketing spéculatif que d’une annonce officielle.
L’ironie de la situation frappe aujourd’hui de plein fouet. Disney, qui possède désormais Star Wars – une saga ouvertement inspirée par les romans de Burroughs -, ainsi qu’Avatar via le rachat de la 20th Century Fox, a laissé échapper l’œuvre originale qui a inspiré ces blockbusters. C’est comme si la firme avait vendu la source pour racheter les rivières.
L’annulation de John Carter 2 a provoqué des répercussions inattendues dans l’industrie. Taylor Kitsch, l’acteur principal, voit sa carrière Hollywood brutalement freinée. Malgré ses performances remarquées dans des séries comme True Detective ou Friday Night Lights, l’étiquette du “flop à 265 millions” lui colle à la peau pendant des années.
Andrew Stanton, réalisateur oscarisé, met quant à lui plusieurs années avant de retrouver pleinement la confiance des studios. L’échec de John Carter transforme l’un des cinéastes les plus respectés de Pixar en paria temporaire d’Hollywood. Cette disgrâce illustre la brutalité d’un système où un seul échec peut anéantir des décennies de réussite.
Au-delà des carrières individuelles, l’abandon de la saga modifie profondément la stratégie de Disney. La firme développe une aversion durable pour les propriétés intellectuelles risquées et inconnues du grand public. Cette prudence excessive explique en partie pourquoi Disney privilégiera par la suite les rachats de franchises établies – Marvel, Star Wars, Avatar – plutôt que le développement d’univers originaux.

Treize ans après l’échec initial, la question du retour de John Carter continue de hanter les réseaux sociaux et les forums de fans. Des dizaines de faux trailers circulent sur YouTube, créés par des fans nostalgiques utilisant l’intelligence artificielle pour recréer des séquences fictives avec Taylor Kitsch et Lynn Collins. Ces créations, parfois d’une qualité visuelle saisissante, témoignent de la persistance d’un public qui refuse l’abandon.
En 2023, des rumeurs évoquent un possible reboot sous forme de série Disney+. Le projet, s’il existe vraiment, reste dans les limbes de développement. Disney semble hésiter entre l’envie de rentabiliser son investissement passé et la peur de reproduire un échec retentissant. Cette indécision révèle un paradoxe : alors que la firme multiplie les suites et reboots de ses productions les moins risquées, elle boude l’une de ses créations les plus ambitieuses.
L’émergence d’une série animée basée sur les romans de Burroughs, annoncée pour 2025 par les héritiers de l’auteur, pourrait relancer l’intérêt. Mais sans Disney et sans les acteurs originaux, ce projet risque de ressembler davantage à une consolation qu’à une véritable résurrection.
Aujourd’hui, John Carter jouit d’un statut paradoxal : flop historique devenu film culte. Sa réputation s’améliore progressivement, de nombreux spectateurs reconnaissant rétrospectivement ses qualités visuelles et narratives. Cette réhabilitation tardive pose une question troublante : et si Disney avait simplement mal calculé son coup ?
L’analyse rétrospective révèle plusieurs erreurs stratégiques. D’abord, un marketing défaillant qui a échoué à expliquer l’univers complexe de Burroughs au grand public. Ensuite, un budget démesuré pour une propriété intellectuelle inconnue. Enfin, un positionnement concurrentiel suicidaire face à Avengers, sorti la même année.
Ces erreurs n’effacent pas la qualité intrinsèque du film, ni le potentiel énorme de sa suite. John Carter 2 : Les dieux de Mars reste l’une des grandes hypothèses du cinéma de science-fiction. Une épopée spatiale qui aurait pu rivaliser avec les plus grandes sagas, sacrifiée sur l’autel d’un échec commercial que même Disney peine encore à digérer.
L’histoire de cette suite fantôme illustre parfaitement les paradoxes d’Hollywood : une industrie capable de dépenser des fortunes pour des projets visionnaires, mais incapable d’assumer les risques inhérents à l’innovation. John Carter 2 restera probablement à jamais le film que nous ne verrons jamais, et c’est peut-être cela, finalement, qui le rend si précieux dans l’imaginaire collectif des amateurs de science-fiction.
La vraie tragédie n’est pas tant l’échec financier du premier film, mais plutôt l’abandon prématuré d’un univers riche qui méritait son épanouissement. Dans un monde parallèle, John Carter aurait peut-être engendré la franchise martienne que Star Wars a été pour la galaxie lointaine. Mais dans notre réalité, cette épopée demeure un rêve inachevé, un monument à ce qui aurait pu être.